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Après le soleil

Apres le soleil

Constitué de cinq nouvelles, ce livre de Jonas Eika (né en 1991 à Hasle, au Dannemark, et présenté comme « l’étoile montante de la littérature danoise »), Après le soleil, peut laisser, à sa lecture, un sentiment d’inachevé. La première « Alvin », conte l’extorsion de l’argent d’un jeune homme par celui qui semble d’abord lui venir en aide. La deuxième, « Bad mexican dog », relate les déboires d’un « beach boy », un « garçon de quinze ans » dont des plaisanciers aisés usent à leur convenance. Chaque nouvelle évoque ainsi un univers profondément ancré dans l’époque contemporaine, avec un rien d’anticipation par-dessus et beaucoup d’érotisme, contenu ou non. Avouons que leur lecture nous laisse un peu de marbre, que nous ne réunissons guère à nous laisser entraîner.

* Jonas Eika, Après le soleil (Efter solen, 2018), trad. du danois Jean-Baptiste Coursaud, Scribes, 2024

La Vie que tu as laissée

La vie que tu as laiee

Albert Henning Munch vit seul dans une grande serre, qui attirait autrefois de nombreux clients et était « la fierté de la région », à côté d’un village danois. Il habitait là avec Nelly et leurs jumeaux, Adam et Suleima. Jusqu’à ce que Nelly décède d’un cancer à l’hôpital, peut-être causé par les pesticides qu’elle manipulait. Tragédie qui détruit la famille : les enfants sont d’abord placés ; Adam se suicidera ; Albert se renferme sur lui-même. Cecily, jeune bibliothécaire divorcée de Martin, habite dans la maison voisine avec sa fille Anemone. « Quinze ans ont été arrachés à sa vie et placés dans des boîtes à archives mentales », se désole-t-elle. La présence de la fillette réjouit Albert, qui se sent revivre à l’observer jouer dans l’herbe avec son chien. Mais il est devenu un vieux fou pour la majorité de la population du village, avec laquelle il n’échange quasiment plus. Une nuit, de jeunes cons inscrivent « SALE CASSOC » sur sa serre. Puis un incendie se déclare, sa maison est détruite, Albert est hospitalisé. L’événement oblige les uns et les autres à revoir leurs rapports entre eux. « Le hasard était ce qui s’approchait le plus de la vérité. » Albert retrouve sa fille, ensemble ils relancent la serre. La Vie que tu as laissée est un roman touchant, sur les liens familiaux. La famille, les voisins, les amis... La vie quotidienne. À lire en prenant son temps.

* Lotte Elmann Wegner, La Vie que tu as laissée (Livet, du efterlod, 2019), trad. Catherine Renaud, La Belle étoile, 2022

 

Le Blues du boxeur

Le blues du boxeur gaia

À la tête, avec un collègue, d’un atelier de carrosserie dans le quartier de Vesterbro, à Copenhague, Frank Thøgersen apprécie son métier, ce qui donne à ce livre, Le Blues du boxeur, des accents de roman prolétarien : « ...Il aimait le contact physique avec les carrosseries, ses mains qui épousaient les formes. Il éprouvait de la satisfaction à poncer jusqu’à la matière métallique pure, à mastiquer et réparer les surfaces pour une peinture toute neuve dans la couleur d’origine. » Ancien champion de boxe, Frank est prêt, si besoin est, à user de ses poings. Son propre père ne lui a-t-il pas donné l’exemple ? Mais voilà que ce dernier est opéré. Frank rencontre l’infirmière chargée de lui procurer des soins à domicile. « Ellen s’efforçait de voir l’humain et non pas sa seule enveloppe corporelle. Pour cette raison, elle se savait bonne infirmière. » Ainsi commence l’action de ce roman, Le Blues du boxeur, signé Michael Engaard (né en 1971, journaliste dans différents quotidiens danois, attaché à l’actualité culturelle, ou encore au Tour de France ou à des combats de boxe). Ceux qui se souviennent des enquêtes de Dan Turèll, auteur de romans policiers très populaire au Danemark et malheureusement plutôt méconnu en France, retrouveront avec grand plaisir le quartier de Vesterbro, à présent en pleine gentrification. « Frank n’avait rien contre. Il n’avait pas de convictions tranchées sur l’organisation de la société, il était juste un peu sceptique à l’égard des visions bobo des nouveaux venus dans le quartier. Pour la grande majorité, ces rénovations urbaines apportaient cependant une nette amélioration. » Et ceux qui avaient apprécié Le Mec de la tombe d’à côté de Katarina Mazetti trouveront une similitude avec ce roman, ce décalage entre deux personnages qui ne sont pas appelés à faire connaissance et qui finissent dans les bras l’un de l’autre. « Je veux te revoir seulement si tu arrêtes de te battre », dit Ellen à Frank, lequel risque de boxer de nouveau bientôt, puisqu’il se retrouve à devoir payer les dettes de son père, pour un trafic de cigarettes. Ellen, elle, se dévoue sans compter dans sa pénible profession d’infirmière, et aimerait monter sur les planches dans le plus grand théâtre de la ville. Peut-être pas le chef d’œuvre annoncé, mais Le Blues du boxeur est l’un de ces romans que l’on a plaisir à lire, à conseiller ou à offrir, histoire de partager une vision du monde pleine d’entrain.

 

* Michael Engaard, Le Blues du boxeur (Svœkling, 2017), trad. Susanne Juul et Bernard Saint Bonnet, Gaïa, 2018

Mission hygge

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« ...C’était sa vie que Chloé jouait à chaque ‘papier’. » Chloé Savigny est une excellente journaliste de terrain, prête à s’aventurer en Syrie, en Somalie ou au Kurdistan pour signer des articles que ses confrères jalouseront. Mais elle est constamment à deux doigts du burn-out et c’est pourquoi son chef lui confie une mission apparemment de tout repos : séjourner un mois à Gilleleje, au Danemark, afin de s’imprégner du fameux « hygge » en vigueur au pays de la Petite sirène. Cette modeste ville n’est-elle pas donnée comme « la plus heureuse du monde » dans le pays « le plus heureux du monde » ? « L’envoyer, elle, pour une période aussi longue, observer des imbéciles heureux allumer des bougies et s’envelopper dans des peaux de bêtes ? » Malgré son allure nunuche (couverture et quatrième très feel good book !), ce roman de Caroline Franc (journaliste pour divers titres de la presse magazine), Mission hygge, n’est pas déplaisant. Mené à un rythme rapide non dénué d’humour, il entraîne facilement le lecteur dans ce pays, le Danemark, où... Il y a « un temps pour le travail, un temps pour soi ». Un pays où l’attention est portée vers les petites choses du quotidien. Roman sans prétention, Mission hygge remplit bien sa tâche, à savoir nous expliquer de l’intérieur le secret d’une certaine quiétude danoise – que d’aucuns nommeront hygge.

 

* Caroline Franc, Mission hygge, First, 2018