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Leona – Les Dés sont jetés

Leona Lindberg, trente-quatre ans, est enquêtrice à Stockholm. « …Je ne m’étais jamais identifiée à mes semblables. Je ne parvenais pas à m’intégrer. Ce qui n’empêchait pas mon travail d’occuper une place prépondérante dans ma vie. D’une façon que personne n’avait encore comprise. » Dès les premières pages, Leona Lindberg, la narratrice, avertit le lecteur. Elle n’est pas une policière comme les autres. Ses desseins ne sont pas ceux de ses collègues, vivre leur traintrain ne l’intéresse pas – bien que le lecteur ne voit pas bien ce qu’elle recherche de vraiment différent, de beaucoup plus exaltant : les jeux en ligne ? un séjour dans un hôtel de luxe sur une île de la Méditerranée ? ou, comme pour se dédouaner, soigner son enfant atteint d’une grave maladie ? Lorsque son chef lui confie le soin d’enquêter sur l’étrange braquage accompli par une fillette de sept ans, Leona va mener un double jeu puisque, comme on l’apprend très vite, elle en est l’instigatrice. « …Enquêter sur un crime qu’on avait soi-même commis, c’était assez tranquille comme occupation. (…) L’important était de maintenir un profil bas. S’assurer qu’aucun autre agent ne fouille trop profondément. » Musicienne, chanteuse pop (membre du groupe féminin Cosmo4), Jenny Rogneby (née en 1974, en Éthiopie, puis adoptée par un couple de Suédois militaires à Boden, où elle a passé son enfance) a été pendant sept ans criminologue à Stockholm. Elle nous livre dans ce roman le portrait d’une enquêtrice à mille lieux de celles que nous avons l’habitude de côtoyer dans la littérature policière nordique, puisque son absence de scrupules incite Leona Lindberg à se confronter à la loi – pour regagner l’argent qu’elle perd au poker, elle va jusqu’à tenter de se prostituer. « Où sont les limites ? » s’interroge dans ses interviews Jenny Rogneby. Mais il est peu facile de se laisser convaincre par ce roman : ce n’est pas tant l’aspect hors-norme de cette enquêtrice qui nous en empêche que ce qui constitue l’intrigue proprement dite. Comme ces hold-up par une fillette, sans que personne, dans les agences bancaires, ne réagisse par un éclat de rire (il est d’ailleurs bien difficile pour le lecteur de comprendre comment les faits, au cours de ces hold-up, s’imbriquent exactement) ; ou, pour faire avancer l’enquête, l’intervention d’un médium dans le commissariat… envoyé par le gouvernement lui-même ! Beaucoup d’auteurs de romans policiers affirment vouloir, en fait, écrire des parodies de romans policiers. Cette intention nous semble être ici prioritaire.
* Jenny Rogneby, Leona – Les Dés sont jetés (Leona. Tärningen är kastad, 2014), trad. Lucas Messmer, Presses de la Cité, 2016
Leona/La Fin justifie les moyens

« La plupart des gens me décriraient comme une banale mère divorcée, âgée de trente-cinq ans, occupant un poste peut-être légèrement original, mais autrement ne se distinguant en rien de ses semblables. Mes collègues voyaient en moi une inspectrice compétente. (…) J’étais une citoyenne responsable qui défendait les valeurs de l’institution et les lois qui régissaient notre société. Rares étaient ceux qui connaissaient ma véritable identité. » Ainsi se présente l’inspectrice Leona Lindberg dans le deuxième roman de Jenny Rogneby, La Fin justifie les moyens, ajoutant : « J’étais bien consciente que mes choix allaient à l’encontre de tout ce que la société escomptait d’une femme, d’une mère et d’une policière. » Mais Leona est comme elle est et d’ailleurs, sa hiérarchie en est bien consciente (jusqu’à un certain point) et n’hésite pourtant pas à lui demander d’interroger le survivant d’une action terroriste devant le siège du Riskdag, le parlement suédois. Ce que la hiérarchie ne sait pas, c’est que, pour arrondir ses fins de mois, Leona donne carrément des cours à des malfrats : comment réussir son coup sans se faire ensuite pincer par la police, explique-t-elle, dans l’espoir de récolter les bénéfices de leur professionnalisation. Personnage de femme forte et double à l’image, finalement, de Lisbeth Salander dont les émules jouent aujourd’hui des coudes (jusqu’aux références, ici, à Pippi Långstrump/Fifi Brindacier, le personnage d’Astrid Lindgren), Leona se voit concurrencer par d’autres héroïnes de romans policiers – songeons, par exemple, à Jana Berzelius, procureure, dans Marquée à vie de Emelie Schepp. Leona comme Jana n’ont guère de morale et ne défendent la justice que lorsque cela les arrange. Comme dans Les Dés sont jetés, premier volume de la série Leona, on se laisse emporter par le récit sans pourtant jamais y adhérer. Une lecture divertissante, sans plus, hélas, tant, nous semble-t-il, la crédibilité du personnage principal n’est pas le souhait premier de l’auteure.
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Jenny Rogneby, Leona – La Fin justifie les moyens (Leona. Alla medel tillåtna, 2016), trad. Lucas Messmer, Presses de la Cité, 2017
L’Été des loups

De nos jours. Deux loups sont retrouvés morts, dans la région frontalière entre la Suède et la Finlande, avec de la viande humaine dans l’estomac. La policière Hannah Wester, du commissariat de Haparanda, mène l’enquête avec ses collègues. Dans le même temps, Katya, une jeune femme particulièrement douée pour se fondre dans son environnement et capable de tuer sans éprouver le moindre sentiment, est à la recherche, pour le compte des mafieux russes, d’une livraison de drogue et d’une grosse somme d’argent disparues, pour lesquelles des hommes se sont entre-tués. Le roman de Hans Rosenfeldt, L’Été des loups, est un peu laborieux : beaucoup de personnages, diverses actions qui s’entrecroisent, des malfrats russes omniprésents et peu convaincants... La région du Tornedalen est au centre de plusieurs livres parus ces derniers temps (pensons à Tove Alsterdal, Nina Wähä ou Mikael Niemi...). La voici présentée comme une plaque tournante du trafic de drogue. Pourquoi pas ? L’intérêt de ce roman est d’ailleurs de faire voyager le lecteur au nord du golfe de Botnie, la ville de Haparanda prenant même la parole de temps à autre, comme un personnage à part entière. « C’est une ville. Les hommes meurent chez elle, comme partout ailleurs. Vieillesse, maladie, suicide, overdose, accident, les causes sont nombreuses. Mais rarement la violence. Plus rarement encore le meurtre. Du haut de son expérience, elle constate que c’est ça qu’il lui faut désormais pour qu’on s’intéresse à elle : des tragédies et des morts violentes. » Cela ne va pas au-delà. Hans Rosenfeldt (né en 1964, en Suède) livre ici son premier roman écrit en solitaire. Avec Michael Hjorth, il avait cosigné la série axée sur le profiler Sebastian Bergman. L’Été des loups est ce qu’on appelle un honnête roman policier, sitôt oublié une fois refermé. Une série est pourtant annoncée avec cette policière tourmentée, Hannah Wester. Il faudra s’accrocher !
* Hans Rosenfeldt, L’Été des loups (Vargasommar, 2020), trad. Rémi Cassaigne, Actes sud (Actes noirs), 2022
Qui est là ?

Après 3 secondes, puis 3 minutes et 3 heures, voici, toujours avec le commissaire Ewert Grens comme personnage principal, un nouveau roman de Anders Roslund (seul cette fois-ci), Qui est là ?, qui pourrait s’intituler 3 jours. Comme les précédents, celui-ci est un thriller ancré dans les questions géo-politiques du moment. « ...Les violences par armes à feu avaient explosé ces dernières années dans les grandes villes suédoises. (…) Actuellement, en Europe, il n’y avait que le sud de l’Italie qui était comparable à la Suède en nombre de fusillades. » Un jour, Ewert Grens intervient à Stockholm, Dalagatan, pour un quadruple meurtre : le mère, la mère, leur fille et leur fils ; seule leur petite fille de cinq ans est retrouvée en vie, après avoir passé plusieurs jours dans l’appartement avec les cadavres. Dix-sept ans plus tard, une infraction est commise au même endroit et le commissaire se questionne : quel lien ? Dans le même temps, Piet Hoffmann, aujourd’hui à la tête d’une boîte de sécurité, est retrouvé par les membres d’une mafia qu’il avait infiltrée et dénoncée pour le compte de la police suédoise. Outre la sienne, la vie de sa femme et celles de leurs trois enfants sont en jeu. Deux autres meurtres, dans des conditions similaires se produisent. À présent à six mois de la retraite, Ewert Grens est appelé à enquêter. « Comment une personne trouve-t-elle l’ivresse, un sens à sa vie, quelque chose d’autre quand elle ne s’est jamais donné la peine d’apprendre où et comment elle devait le chercher ? » Comme dans les autres romans du duo Börge Hellström/Anders Roslund, l’enquête est ici tarabiscotée au possible. Plusieurs pistes s’entrecroisent et le lecteur peut perdre de vue le pourquoi des agissements des uns et des autres – flics et bandits. Avouons que ce n’est pas le genre de romans que nous préférons. Anders Roslund arrive toutefois à retomber sur ses pieds avec brio. La situation sociale et politique actuelle de la Suède est présentée, avec les enjeux qui dépassent une analyse purement locale. Machiavélique, son intrigue se tient et il parvient presque à nous arracher une larme dans les dernières pages.
* Anders Roslund, Qui est là ? (Jamåhonleva, 2019), trad. Catherine Renaud, Mazarine (Thriller), 2022
Made in Sweden

Rien à voir avec les précédents romans signés Anders Roslund et Börge Hellström. Celui-ci, Made in Sweden, signé cette fois-ci Anders Roslund et Steffan Thunberg, se lit d’une traite en dépit de ses plus de six cents pages. Et se révèle intelligemment construit. En Suède, dans les années 1990, un gang familial se livre, après avoir dérobé un très important stock d’armes de l’armée, à une série de braquages tous plus audacieux les uns que les autres. « La même bande qui surgit de nulle part et qui disparaît sans laisser de traces. » John Broncks, un policier du commissariat de Stockholm, tient à se charger de l’enquête. Pour lui, c’est évident que les braqueurs ont un lien entre eux, un lien affectif fort. Anders Roslund (né en 1961) et Stefan Thunberg (né en 1968, auteur et metteur en scène, réalisateur de diverses séries télévisées dont des adaptations de Mankell/Wallander) ont écrit là un excellent roman, pas tout à fait un roman policier (l’enquête est assez succincte et d’ailleurs, les coupables sont connus dès les premières pages), plutôt une sorte de saga familiale rocambolesque. Stefan Thunberg affirme s’être inspiré de ses trois frères, auteurs de braquages. Outre le titre, Made in Sweden(Björndansen,La Danse de l’ours, mot pour mot, en suédois) regrettons juste que les mobiles des braqueurs, et notamment du chef, Leo, soient assez peu exposés. Empocher illégalement un maximum d’argent, pour être tranquille après ? Nous aurions aimé connaître un peu plus la personnalité de ces individus qui font usage, si besoin est, d’une grande violence, et que les deux auteurs parviennent néanmoins à rendre relativement sympathiques. « Les quatre braqueurs cagoulés n’avaient pas seulement forcé la police à revoir ses méthodes, ils avaient modifié le comportement des criminels dans leur ensemble. » Un bon livre, avec des descriptions réalistes des préparatifs et du cours des hold-up, qui semble conçu pour une adaptation cinématographique. Une suite existe, Blodsbrörs (Frères de sang), qui verra l’alliance criminelle de Leo et de Sam, le frère de... John Broncks.
* Anders Roslund & Stefan Thunberg, Made in Sweden(Björndansen, 2014), trad. Frédéric Fourreau, Actes sud (Actes noirs), 2018
Si tu me balances

Si tu me balances, de Anders Roslund et Stefan Thunberg, s’inscrit après Made in Sweden, roman dans lequel les deux auteurs relataient l’épopée d’une famille de malfrats de haut niveau, si l’on peut dire, dans la Suède de la fin du XXe siècle. Un très bon roman. À présent, le personnage principal, Léo Dûvnjac, à peine sorti de prison, entend réaliser une série de gros coups avant de quitter le pays. Un premier braquage dans un centre commercial tourne mal, l’un de ses complices est tué et la police, vu le mode opératoire, comprend qu’il en est à la tête. Assisté d’Elisa Cuesta, policière très méthodique, John Broncks, le policier qu’il l’avait conduit en prison, se remet en chasse, sans d’abord se douter que son propre frère est devenu le bras droit de Léo alors qu’il était derrière les barreaux. Commence un jeu de je sais que tu sais que je sais... au cours duquel chacun tente de berner l’autre. « Quand il repartira d’ici », se dit John lors d’un interrogatoire de Léo, « il faudra qu’il soit suffisamment sûr de lui pour ne rien changer à ses projets ». Léo tente d’embringuer son père et ses frères, une nouvelle fois, mais ceux-ci déclarent respecter à présent la loi. Si tu me balances est un roman policier bien conçu, donné pour « inspiré de faits réels » en partie. Made in Sweden possédait une autre dimension, entre le roman familial, le roman d’aventure et le roman policier. Un prochain volume semble envisagé. À voir...
* Anders Roslund/Stefan Thunberg, Si tu me balances (En bror att dö för, 2017), trad. Frédéric Fourreau, Actes sud (Actes noirs), 2021
3 secondes
Anders Roslund (né en 1961) n’est plus un inconnu en France, puisque plusieurs de ses romans policiers écrits avec Börge Helström (1957-2017) ont déjà été publiés : La Bête, Box 21, L’Honneur d’Edward Finnigan... Notons aussi le bon Made in Sweden, co-écrit avec Stefan Thunberg. Ce roman-ci, 3 secondes, signé de nouveau Roslund et Helström, mène le lecteur dans le monde connu (tout au moins, souvent, d’un point de vue littéraire) de la mafia et de la prison. Bien construit, il relate en près de six cents pages le parcours d’une taupe : Piet Hoffman, ex-délinquant, a aujourd’hui infiltré la mafia polonaise pour le compte de la police suédoise. Projetant de ruiner sa main-mise sur le trafic de drogue dans les prisons de Suède, il est couvert par les plus hautes instances policières et juridiques du pays, ou c’est ce qu’il croit. Mais rien ne va se passer comme il s’y attend. « Une opération de police parfaitement légale venait de se transformer en meurtre légalisé. » Piet Hoffmann accomplit ce qui est attendu de lui, mais différents services de la police et de la justice rivalisent et se court-circuitent et c’est lui qui en fait les frais. « Pièce après pièce on avait fait d’un petit voleur l’une des personnes les plus dangereuses du pays. Le registre de l’administration pénitentiaire, celui de la Justice, le fichier des personnes recherchées. (…) Piet Hoffmann s’était retrouvé dépourvu de conscience morale, agressif et très dangereux pour les autres. » Seul le commissaire Ewert Grens, en deuil de sa femme depuis trop longtemps, finira par comprendre l’effroyable imbroglio auquel on l’a amené, lui le policier scrupuleux, à prendre part. Premier volume d’une trilogie (suivront 3 minutes et 3 heures), 3 secondes met en scène des truands hors-normes et des policiers également – ou on peut l’espérer – en dehors des clous. Comparée à Millénium par des critiques enthousiastes, cette trilogie (ou, aujourd’hui, ce titre) ne souffre que d’une écriture destinée visiblement à une adaptation cinématographique. Un évident best-seller à venir.
* Anders Roslund et Börge Helström, 3 secondes (3 sekunden, 2009), trad. Philippe Bouquet et Catherine Renaud, Mazarine, 2019
3 minutes
Après 3 secondes, voici 3 minutes, toujours du duo Roslund et Helström. Piet Hoffmann s’est évadé de Suède et, réfugié en Colombie, travaille à présent pour le compte des services de renseignements américains. Il a infiltré la mafia afin de lutter contre les trafics de cocaïne. Mais le Cartel enlève le responsable de la Chambre des représentants et le voici malgré lui propulsé au-devant de la scène. Sa vie est en jeu. Son vieil ennemi d’hier, le policier Ewert Grens, va devoir quitter la Suède et venir le sauver. « Au centre du grand écran, il y avait maintenant une cible, ou du moins quelque chose qui y ressemblait, à savoir des anneaux concentriques. Au centre de ceux-ci apparut une maison. Lorsque le drone, et donc la caméra, s’en approcha, il apparut clairement que quelque chose bougeait, devant la maison, sans doute trois êtres humains... » De l’action, beaucoup d’action et des situations inextricables qui soudain se résolvent... C’est bien construit mais... À petites doses seulement ! Et cette fois-ci, avec ce deuxième volume, c’est encore six cents pages de rebondissements que le lecteur est censé avaler.
* Anders Roslund et Börge Helström, 3 minutes (Tre minuter, 20161), trad. Philippe Bouquet et Catherine Renaud, Mazarine, 2019
3 heures
Après 3 secondes, puis 3 minutes, voici 3 heures. Terminé le duo Roslund et Helström, avec la mort de ce dernier. Anders Roslund est à présent seul à l’écriture. Un cadavre est retrouvé dans la morgue d’un hôpital. « Qui était venu par ses propres moyens. Qui était dépourvu d’identité et d’histoire. Qui n’était personne. » Un homme de peau noire. Peut-être un Africain de l’ouest. D’autres cadavres non identifiés surgissent mystérieusement dans d’autres morgues. Les enquêteurs relèvent une empreinte digitale sur un téléphone portable dissimulé dans la doublure de la veste d’un mort, elle appartient à Piet Hoffmann, autrefois l’ennemi juré du commissaire Ewert Grens (cf. 3 secondes), aujourd’hui (cf. 3 minutes) son ami ou tout comme. Que vient-il faire dans cette histoire ? Des dizaines de morts dans des containers, dont deux semblent former un couple. Ewert Grens file au Niger, où Piet Hoffman exerce comme mercenaire, lui explique la situation et le contraint à lui rendre un service, promis lorsqu’il lui a sauvé la vie en Colombie : « Je veux (…) que tu infiltres l’organisation qui a fait payer ce couple de réfugiés. Que tu t’informes du nom de leur membre suédois qui s’engraisse sur le dos de ceux qui meurent étouffés dans des containers, chez nous. (…) C’est comme ça que tu paieras ta dette... » Réticent, car affirmant vouloir vivre une vie paisible dorénavant, en Suède, avec sa femme et leurs enfants, Hoffmann finit par accepter. Le voici aux premières loges pour observer comment fonctionnent les trafics d’êtres humains au départ du continent africain en direction du l’Europe. Comme les deux précédents, 3 heures est un roman dense, centré sur les deux personnages de Ewert Grens et de Piet Hoffman. Deux personnages d’exception, tant par leur force physique que par leur ingéniosité, des super-héros qui prétendent ressembler à n’importe qui, au point que l’intrigue est très peu crédible. « Toujours, le divertissement en premier lieu », explique Anders Roslund dans sa postface, expliquant la conception de la trilogie et se vantant, quelque peu abusivement, d’avoir renouvelé le genre du roman policier nordique. Quelque part entre le roman policier, le roman d’espionnage, le roman d’action, surtout, 3 heures : bien trop épais pour être divertissant, à vrai dire. Pour les longues nuits d’insomnie, peut-être.
* Anders Roslund, 3 heures (Tre timmar, 2018), trad. Philippe Bouquet et Catherine Renaud, Mazarine, 2019
La Fille des souterrains
On retrouve dans La Fille des souterrains du duo Roslund-Hellström les policiers présents dans les précédents volumes. « Le bouillant commissaire » Ewert Grens est toujours aussi dépressif (d’autant plus que sa femme décède en cours de volume et qu’il culpabilise comme jamais) et se met le procureur Lars Ågestam, qui supervise l’enquête, à dos. Peu importe. Il a les épaules assez larges pour supporter les colères de ce dernier. Deux enquêtes se croisent ici, complémentaires dans le fond. Quarante-trois enfants roumains sont découverts, frigorifiés et drogués, en plein Stockholm. Et une femme est retrouvée assassinée dans un souterrain, également dans la capitale. « ...Des enfants qu’on traite comme des déchets. (…) On les jette, on s’en débarrasse. Comme des déchets. Vraiment... Mais à quelle époque on vit ? Une société qui permet ce genre de choses... » Comme dans La Bête ou Box 21, les deux auteurs se veulent chroniqueurs d’une société qu’ils jugent en décomposition. N’est pourtant pas Sjöwall-Wahlöö ou Mankell qui veut. « Si je veux avancer, j’ai besoin de savoir comment une gamine de quatorze ans peut disparaître pendant deux ans et demi. Dans ce pays. Avec ce modèle social que le monde entier nous envie. Il faut que je comprenne avant qu’il fasse jour. » À l’âge relativement avancé qui est le sien, voici le commissaire Grens soudain bien pressé et désireux de comprendre la marche du monde d’ici... le lendemain ! La Fille des souterrains est un roman assurément plein de bonnes intentions, mais qui ne s’inscrira pas dans l’histoire littéraire suédoise.
* Anders Roslund & Börge Helsström, La Fille des souterrains (Flickan under gatan, 2007), trad. Terje Sinding, Presses de la Cité, 2012
L’Appel de la sirène

Un cadavre de femme, les jambes cousues ensemble, est retrouvée dans un cours d’eau à Nörkkoping. La procureure Jana Berzelius est en charge de l’enquête. Puis un deuxième cadavre, un troisième... À chaque fois, même mode opératoire. Qu’ont en commun ces victimes ? Le coupable souffrirait-il de « dysphorie de genre, c’est-à-dire le sentiment d’être né avec le mauvais sexe » ? Mia Molander et Henrik Levin assistent Jana Berzelius, laquelle va être amenée à demander de l’aide à... son frère honni, Danilo Peñas, incarcéré à vie dans un centre psychiatrique pénitentiaire. Comme les autres volumes de la série, L’Appel de la sirène est d’une lecture aisée et ne devrait pas laisser trop de traces dans les mémoires. Les enquêtes de Jana Berzelius sont en cours d’adaptation pour la télévision, nous apprend par ailleurs l’éditeur.
* Emelie Schepp, L’Appel de la sirène (Broder Jakob, 20129), trad. Rémi Cassaigne, HarperCollins (Noir), 2021
Marquée à vie

Hans Juhlén, haut responsable de l’Office d’immigration de Norrköping, en Suède, est retrouvé chez lui assassiné de deux balles de revolver. Deux policiers enquêtent, Henrik Levin et Mia Bolander, sous l’aval de Jana Berzelius, procureure. « Avec Jana Berzelius aux commandes, l’enquête n’allait pas être une partie de plaisir », songe Mia Bolander, qui ne supporte pas les personnes nées avec une cuillère d’argent dans la bouche. Peu après, un jeune garçon est découvert mort sur une plage, l’assassin de Hans Juhlén vraisemblablement. Sur sa nuque, une cicatrice inscrit un nom, comme la procureure. Bouleversée, Jana Berzelius comprend qu’elle va devoir enquêter sur son propre passé. En parallèle, sans prévenir la police. « Que signifiait le nom scarifié sur sa nuque ? Pourquoi l’avait-on marquée ? Elle voulait des réponses. À tout prix. Mais à qui s’adresser ? » Marquée à vie est un roman policier bien construit qui utilise une intrigue sanglante pour dénoncer les dérives de l’action humanitaire et puis, surtout, les trafics d’être humains liés aux migrations. Avec excès, peut-on penser. Mais les personnages sont présents, à commencer par cette femme de loi, Jana Berzelius. Difficile d’avouer un grand enthousiasme pour ce titre mais facile, pourtant, de se laisser emporter. Chef de projet dans le domaine de la publicité avant de se consacrer à l’écriture, Emelie Anna Schepp (née en 1979) a publié à compte d’auteur ce premier volume d’une série consacrée à Jana Berzelius, un grand succès en Suède, vite traduit dans plusieurs pays. Dommage que sa publication en français soit traduite de l’anglais, ce qui explique peut-être un style bien plat.
* Emelie Schepp, Marquée à vie (Märkta för livet, 2014 ; Marked for life, 2016), trad. de l’ang. (États-Unis), Louis Poirier, HarperCollins (Noir), 2017
Sommeil blanc

Voici, dans Sommeil blanc, la procureure Jana Berzelius, « femme élégante et habile au couteau » déjà rencontrée dans Marquée à vie. La voici chargée d’assister l’enquête sur la mort d’une jeune femme à Norrköping, suite à une overdose dans un train reliant Copenhague à Stockholm. « Elle avait donc avalé cinquante capsules contenant de l’héroïne et de la cocaïne (…). Une capsule a fui, et elle est morte d’une overdose. Nous avons donc affaire à un trafic de stupéfiants. » Danilo, son presque frère, que Jana Berzelius a repéré dans cette ville et qui l’a ensuite agressée, serait-il impliqué ? « Aujourd’hui, ils partageaient le même passé sanglant, rien d’autre. Il avait une inscription gravé sur la nuque, elle avait la sienne, rappel permanent de leur sombre enfance. » Et l’enquête commence, avec le double jeu de Jana Berzelius, les dealers traqués par la police, les petits malfrats... Puis les autres, ceux qui se dissimulent au sein de la police ou de la magistrature. Pouf, pouf !
* Emelie Schepp, Sommeil blanc (Vita spår, 2015), trad. Rémi Cassaigne, HarperColins (Noir), 2018
D’une mort lente
Voici de nouveau, dans ce roman d’Emelie Schepp, D’une mort lente, la fougueuse procureure de Norrköping, Jana Berzelius. Une femme, puis une deuxième, puis un homme, sont retrouvés chez eux tués et gravement mutilés – amputés des membres supérieurs ou inférieurs. Pendant ce temps, Danilo Peña, criminel emprisonné pour de longues années (cf. les volumes précédents), s’est évadé et réfugié chez Jana, qu’il connaît depuis l’enfance. La voilà bien embêtée, mais il la menace de révéler son passé, ce qu’elle craint ; elle accepte donc de l’aider à disparaître dans la nature. L’enquête sur les meurtres progresse et semble mettre en cause un infirmier. Puis, voilà que Jana est affectée par la mort de sa mère et découvre que celle-ci aurait peut-être été assassinée et peut-être par le même meurtrier que celui que la police recherche. Plusieurs intrigues se nouent donc dans ce roman et celle avec Danilo Peña n’apporte pas grand chose, si ce n’est annoncer d’autres volumes : « Tu auras de mes nouvelles. ». La fin livre ses réponses, attendues, et ne peut que laisser dubitatif le lecteur.
* Emelie Schepp, D’une mort lente (Slowly we die, 2016), trad. Rémi Cassaigne, HarperCollins (Noir), 2019
La Marque du père
Dans un quartier pavillonnaire de Norrköping, un homme rentre chez lui et découvre que sa femme a été assassinée et leur garçon de six ans enlevé. Bien qu’il ait un alibi, il est mis en garde à vue, les enquêteurs, notamment Mia Bolander et Henrik Levin, le soupçonnent de ne pas tout dire. Parallèlement, la procureure Jana Berzelius est encore une fois menacée par son frère, Danilo, incarcéré et accusé de meurtres. « Elle avait l’air d’une putain de statue, avec ses mines sévères et ses cheveux raides. » Son collègue Per Åström, avec lequel elle vit un début de liaison, sera exécuté si elle ne parvient pas à lui suggérer de se retirer de la procédure contre Danilo. Les deux intrigues se nouent car Jana Berzelius est également chargée de l’enquête du meurtre et de l’enlèvement. Quatrième volet de la série consacrée à Jana Berzelius (après D’une mort lente, Marquée à vie et Sommeil blanc), La Marque du père est un roman policier dont les éléments s’imbriquent bien, même si rien n’est crédible.
* Emelie Schepp, La Marque du père (Pappas pojke, 2017), trad. Rémi Cassaigne, Harper Collins (Noir), 2020
Les Griffes du silence

À Norrköping, trois jeunes hommes sont tués au couteau dans une forêt – des dealers. Un survivant est assassiné à son tour, avec une ceinture d’explosifs autour du torse. Tous appartenaient au gang dit Komados, extrêmement brutal et en voie de contrôler les divers trafics de la région. Dans ce nouveau volume, Les Griffes du silence, Emelie Schepp convie ses personnages habituels, à commencer par la policière Mia Bolander et son assistant Patrik Wiking, et surtout la procureure Jana Berzelius, pour tenter de faire avancer l’enquête. Mais Jana n’est pas neutre. Les trois dealers ont tenté de la violer, c’est elle qui les a tués. Son père adoptif, Karl Berzelius, magistrat à la retraite, l’a deviné. Danilo Peña, son frère, va être libéré de prison et revenir la harceler. Comment vivre sereinement sa nouvelle relation avec l’avocat Per Åström ? Comme les précédents volumes de la série, Les Griffes du silence est plutôt agréable à lire mais que de situations saugrenues, que d’invraisemblances ! Difficile de voir là « une plongée terrifiante au cœur des gangs suédois », comme l’indique le bandeau sur la couverture. Nous sommes surtout chez les petits voyous de banlieue, trafiquants en tout genre, sans envergure, assassins à l’occasion pour protéger leurs intérêts. Et Jana Berzelius n’est pas un instant crédible, à présent « rongée par la culpabilité » d’avoir envoyé un innocent en prison à sa place et poursuivie par les soupçons de Henrik, un policier qui pense avoir compris le rôle qui a été le sien. Elle perd pied, hésite. « Beaucoup d’éléments de ce livre sont réels », écrit Emelie Schepp dans ses « remerciements », « mais j’ai aussi ajouté une bonne dose de fiction pour mieux coller au récit ». On s’en doute un petit peu.
* Emelie Schepp, Les Griffes du silence (Nio liv, 2020), trad. Rémi Cassaigne, HarperCollins (Noir), 2022
Dictionnaire Sjöwall et Wahlöö
L’idée était intéressante : consacrer une étude, sous forme de dictionnaire comme il existe des Dictionnaire amoureux de..., aux parents du roman policier nordique, les Suédois Maj Sjöwall et Per Wahlöö. De Roseanna à Les Terroristes, les dix volumes qui composent le Roman d’un crime ne sont pas que de très bons romans policiers (un crime, une énigme, une enquête). Contextualisés, ils révèlent beaucoup de choses sur la société suédoise des années 1960-1970. Mais ce Dictionnaire Sjöwall et Wahlöö est loin de remplir ce qui aurait pu être son objectif, et se contente de délivrer quelques anecdotes à partir de mots-clés. D’un point de vue formel, regrettons, déjà, que l’on ne sache pas qui s’exprime dans les « quelque 500 articles », l’utilisation de deux polices de caractères ou des italiques aurait été pratique. Souvent, l’auteur donne une explication, puis suivent des extraits de tel ou tel roman (dont le titre est rarement précisé) : qui parle ? La rigueur attendue d’un dictionnaire est ici absente. Passons sur les manques (la prise d’otages de la RAF à l’ambassade américaine de Stockholm en 1975 ; la figure du diplomate et secrétaire général des Nations unies Dag Hammarskjöld évoquée en quatre lignes, alors que sa mort est à elle seule une véritable affaire d’espionnage ; l’île de Ven, où s’était retirée Maj Sjöwall, mentionnée sans citer le nom de son habitant le plus illustre, l’astronome Tycho Brahe ; l’enquête de Stieg Larsson sur le meurtre d’Olof Palme passée aux oubliettes – cf. Jan Stocklassa, La Folle enquête de Stieg Larsson, Flammarion, 2019 ; comme le roman de Kurt Salomonson disponible en français, Les Grottes, Plein chant, 1987 ; et ces affirmations discutables, ici ou là (« Il y aurait eu des traductions dans 40 langues et 30 millions d’exemplaires vendus à travers le monde. Les contrats, vieux de 50 ans, n’ont pas été mis à jour : pas de quoi, donc, d’enrichir (sic) une Maj Sjöwall qui préfère largement, de toute façon, être libre. » Quel rapport ?) Des mots, noms propres et noms communs, prélevés dans les dix volumes du Roman d’un crime, une très brève anecdote autour, une citation... À part Maria Lang, expédiée en quatre lignes et demi, aucune mention de Olov Svedelid ni de Stieg Trenter ou de Olle Högstrand, pourtant de grands prédécesseurs de Sjöwal-Wahlöö, traduits en français qui plus est. En bref, ce Dictionnaire nous semble passer, hélas, à côté de ce qui aurait pu être son objectif, montrer en quoi l’œuvre du couple de Suédois s’inscrit avec force et originalité tant dans la littérature de son pays, que dans le genre du roman policier.
* Yann Liotard, Dictionnaire Sjöwall et Wahlöö, L’Harmattan (Sang maudit), 2020
Le Village perdu
« Je ferai ce film coûte que coûte », se dit Alice en arrivant à Silvertjärn, « le lac d’argent », avec une équipe de tournage, deux femmes et deux hommes aussi jeunes qu’elle. Silvertjärn : hier cité minière, dont la population a brusquement et mystérieusement disparu. « ...Comme si chacun des huit cent quatre-vingt-sept habitants (…) était parti en fumée. Les portes étaient ouvertes. Les fenêtres entrouvertes. La rivière coulait paisiblement vers le lac. Et la ville était déserte. » Camilla Sten (née en 1992) est la fille de Viveca Sten (Meurtre à Sandhamn...), avec qui elle a écrit une trilogie, L’Île des disparus, de bonne facture. Le Village perdu prend la Suède des lacs et des forêts pour cadre, quelque part dans la région de Sundsvall. L’ambiance est lourde, plus proche du fantastique que du polar. On n’est pas loin de la série télévisée Jordskött, avec le passé et le présent qui se mêlent sur fond de délire sectaire ; ou des romans de Åsa Larsson, dans les congrégations religieuses de Kiruna. Un roman pour se détendre, Le Village perdu, et pour avoir peur en même temps – sous l’influence donc de John Ajvide Lindqvist ou de Stephen King.
* Camilla Sten, Le Village perdu (Staden, 2019), trad. Anna Postel, Seuil (Thriller), 2020
Une Écharpe dans la neige

Après la série Meurtres à Sandhamn, romans policiers prenant l’archipel de Stockholm pour cadre, Viveca Sten entraîne ses lecteurs dans le Jämtland, plus précisément à Åre, où elle séjournait pendant la crise du Covid 19 et son confinement. La policière Hanna Ahlander, qui a mis en cause l’un de ses collègues de Stockholm coupable de violences sur son épouse (« Je bossais sur les violences intrafamiliales, ce genre de saloperies », explique-t-elle à ses nouveaux collègues) vient d’être mutée dans cette célèbre station de ski à peu de distance de la frontière norvégienne et va travailler avec l’inspecteur Daniel Lindskog. À peine s’est-elle installée dans la maison vide que sa sœur aînée, en déplacement, lui prête, qu’un cadavre est découvert sur un télésiège, celui d’Amanda, une jeune fille de dix-huit ans. Qui pouvait lui en vouloir ? Son ex-petit ami ou un adulte ? « ...Tout devient difficile à piloter quand le lieu du crime se trouve à Åre, la direction à Östersund et le central régional de communication à Umeå. » Les différents couples de ce roman sont tous mal en point : Hannah et Christian se sont séparés, c’est aussi pourquoi elle séjourne à Åre ; Daniel et Ida se querellent, elle ne supporte plus son emploi du temps si exigeant ; tout s’écroule dans la vie de Harald et Lena, les parents d’Amanda... Plusieurs pistes se chevauchent, mêlant diverses problématiques d’aujourd’hui : pédophilie, travail au noir, immigration... Viveca Sten est plus convaincante dans ce roman, où tout est moins nunuche et moins friqué, que dans ses précédents. (Difficile cependant de ne pas penser à l’écrivaine Aino Trosell, qui, il y a quelques années, a déjà balisé le terrain avec ses romans policiers prenant une femme de chambre pour enquêtrice à Åre.) Agréable divertissement.
* Viveca Sten, Une Écharpe dans la neige (Offermakaren, 2020), trad. Rémi Cassaigne, Albin Michel, 2022
Sous protection

Pas de crime à proprement parler pendant une bonne partie du dernier roman de Viveca Sten, Sous protection, mais une femme, Mina, frappée par son compagnon. Une femme qui ne se résout pas à quitter ce salopard, par ailleurs trafiquant de drogue notoire, alors qu’elle n’a guère d’espoir de le voir se repentir. La police, représentée par Thomas Andreasson, et la justice par Nora Linde, procureure, s’efforcent pourtant de la convaincre de porter plainte contre lui, seule façon de l’empêcher de nuire. Lorsque Mina trouve une place dans un foyer, la situation se dégrade. Sous protection (le titre est parlant) tourne beaucoup moins autour de Nora et de Thomas (coucheront-ils un jour ensemble ? Ah, quel suspens !) que les volumes précédents de Viveca Sten et c’est tant mieux. L’ouvrage pose des questions de fond sur l’évolution de la société et des remarques à la Mankell sont prononcées : « La Suède avait changé de fond en comble ces dix dernières années. » L’ouverture des frontières a provoqué l’afflux de migrants qui ont été victimes de violences et qui les reproduisent ici, mettant en place « un monde où les représailles étaient la norme, la vie humaine une marchandise et où le trafic de drogue avait lieu en pleine rue ». Sous protection montre aussi les difficultés à rompre avec un homme dont la violence n’est que l’une des facettes. « Elle l’aimait tant, comment ignorer ses excuses et le quitter ? » Plutôt nunuche au début, la série « Sandhamn » de Viveca Sten s’améliore de volume en volume et celui-ci, le neuvième, se laisse lire avec plaisir.
* Viveca Sten, Sous protection (I fel sällskap, 2018), trad. Rémi Cassaigne, Albin Michel, 2021
Au nom de la vérité
« Curieux hasard que leurs chemins se croisent ainsi. » Oh, oui, des hasards et des coïncidences, les romans de Viveca Sten en sont remplis. Dans celui-ci, Au nom de la vérité (quel titre grandiloquent, pour une enquête qui s’inscrit dans la série prenant l’île de Sandamn pour cadre, avec ces deux nunuches, Nora et Thomas, pour héros récurrents), il fait encore une fois bien les choses, puisqu’il va permettre à deux récits parallèles de se rejoindre. « ...Il y avait parfois dans les enquêtes criminelles des coïncidences auxquelles on ne croirait jamais si on les trouvait dans un roman. » Et c’est ainsi. Benjamin, un jeune garçon en colonie sur l’île, pour apprendre à faire de la voile, disparaît au moment de la Saint-Jean (journée cruciale dans l’œuvre de l’écrivaine). Dans le même temps, son père passe en procès pour une affaire de détournement d’argent dans sa société. La procureure n’est autre que Nora Linde. Benjamin aurait-il fait une fugue ? Été victime d’un pédophile repéré sur les lieux ? Enlevé à cause des manigances de son père ? Quel suspens ! Le livre (quasiment 500 pages) est plaisant à lire, tout s’enchaîne bien.
* Viveca Sten, Au nom de la vérité (I sanningens namn, 2015), trad. Rémi Cassaigne, Albin Michel, 2020
Les Secrets de l’île

Les Secrets de l’île est le quatrième roman de Vivaca Sten traduit en français. Les trois précédents (La Reine de la Baltique, Du sang sur la Baltique et Les Nuits de la Saint-Jean) étaient plutôt légers : une intrigue sagement menée et des personnages principaux falots, même si Les Nuits de la Saint-Jean se démarquait un peu. Les Secrets de l’île nous semble beaucoup plus intéressant. Ce roman débute par le suicide d’un étudiant. Tout laissait pourtant à penser qu’il ne songeait pas à mourir, affirment ses proches à l’inspecteur Thomas Andreasson, de nouveau en scène, donc (et de nouveau en couple avec Pernilla). Celui-ci est dubitatif mais voilà qu’un meurtre a lieu, celui d’un homme que l’étudiant avait interviewé récemment dans le cadre d’un travail universitaire sur les conditions de vie au sein de la base militaire de Korsö, devant l’île de Sandhamn, parmi les chasseurs côtiers. Coïncidence ? Nora Linde, elle, séjourne dans sa grande villa nommée Brand, sur l’île, et, curiosité aidant, est amenée à obtenir de précieux renseignements. Son rôle est toutefois anecdotique car ces renseignements, Thomas Andreasson les acquiert également par sa propre enquête. Comme d’autres auteurs avant elle (songeons à Camilla Läckberg avec L’Enfant allemand, à qui elle est souvent comparée), Viveca Sten inscrit dans le passé la résolution de crimes qui ont lieu de nos jours. En cause, ici, la discipline très dure qui régnait dans certaines unités militaires d’élite, quand un psychopathe avait tout pouvoir sur un groupe. « Aujourd’hui, ils ont beaucoup changé le système (…). Avec des personnels spécialement formés et des moyens coûteux, on ne peut plus se permettre de laisser quelques cinglés terroriser la troupe. Mais dans les années soixante-dix, ils avaient le champ libre, les officiers faisaient ce qu’ils voulaient et les punitions extrêmes (…) étaient monnaie courante. » Nous ne dirons pas que Viveca Sten se montre antimilitariste dans ce plutôt bon roman, mais nous distinguons enfin une réflexion sur la société dans laquelle vivent ses personnages, quelque chose qui la situe dans ce qui caractérise le roman policier nordique contemporain. Notons que cette série, adaptée pour la télévision, a été diffusée sur Arte (sous le titre de Meurtres à Sandhamn).
* Viveca Sten, Les Secrets de l’île (I natt är du död, 2011), trad. Rémi Cassaigne, Albin Michel (Suspense), 2016
Au cœur de l’été

La série policière de Viveca Sten est inégale mais dans l’ensemble, disons qu’elle ne casse pas trois pattes à un canard. Pour preuve ce nouveau volume, Au cœur de l’été, qui ne se déroule pas exactement à ce moment de l’année mais plus précisément lors de la saint Jean, fête, on le sait, ardemment célébrée en Suède et notamment à Sandhamn, dans l’archipel de Stockholm. Une journée si chaude qu’on se croirait « au cœur de l’été ». Au centre de ce roman, Nora Linde, comme d’habitude. (On se demande comme elle fait pour se trouver toujours à proximité immédiate des scènes de crime !) Un jeune homme a été retrouvé mort, c’est Nora qui est chargée d’héberger ses deux copines, choquées, alors que les parents sont loin et tardent à arriver. C’est aussi Nora qui est alertée par Jonas de la disparition de sa fille, adolescente. Pour cause, d’ailleurs, puisque Jonas est son nouvel amant. Cela tombe bien même si, comme elle s’exclame, « ça fait un peu beaucoup, ces dernières heures ». Et c’est bien évidemment l’inspecteur Thomas Andreasson, son amoureux transi, aujourd’hui de nouveau père d’une petite fille, qui mène l’enquête. « L’origine de ce roman remonte à la Saint-Jean 2010. Suite à un malentendu, j’ai dû fouiller le port très tard dans la nuit. C’était un spectacle lamentable, partout des jeunes ivres qui titubaient, tandis que la police faisait de son mieux pour gérer la situation. (…) J’étais à la fois effrayée et choquée », explique Viveca Sten dans ses remerciements. N’en disons pas plus pour ne pas dévoiler l’insoutenable suspens, sinon que, comme ses précédents romans, Au cœur de l’été est facile à lire mais… quelle soupe !
* Viveca Sten, Au cœur de l’été (I studens hetta, 2012), trad. Rémi Cassaigne, Albin Michel, 2017
Dans l’ombre du paradis
« Il rechignait à se lever quand son réveil sonnait le matin. » Ainsi commence Dans l’ombre du paradis, nouvelle enquête du cycle Sandhamn de Viveca Sten, qui voit le policier Thomas Andreasson mener son métier avec de plus en plus de difficultés. Quand un vieil ami, ancien collègue, lui propose de rejoindre à un poste haut placé la société de surveillance qu’il a créée, Thomas hésite. Travailler pour le service de tous, c’est-à-dire dans la police, ou se ménager et accepter ce poste dans une boîte privée, dans ses cordes et bien payé ? Mais un incendie se déclare sur l’île de Sandhamn, un corps est retrouvé calciné. Une vengeance ? Un coup des Russes, avec lesquels le propriétaire de la maison visée, très riche homme d’affaire, « Suédois de l’étranger », est accointé ? « ...Il avait contribué à escroquer des milliers de petits épargnants. Beaucoup avaient été ruinés. Il avait en tout point fait passer son propre intérêt avant celui des autres, sans montrer aucune compassion. » Bref, un homme d’affaire normal. Nora, sa voisine, disposerait bien de quelques renseignements sur lui ? Dans chaque volume de la série, Nora Linde figure, par le plus grand des hasards, au centre de l’action. L’île de Sandhamn est petite, c’est pratique. Facile à lire, Dans l’ombre du paradis est un roman qui ne transportera pas son auteure ni ses lecteurs dans les limbes de la littérature. Mais puisque ce n’est pas le but... !
* Viveca Sten, Dans l’ombre du paradis (I maktens skugga, 2014), trad. Rémi Cassaigne, Albin Michel, 2019
Les Corps de verre

« La mélancolie est la grâce et la joie d’être triste. La mélancolie est révolte et aliénation, et la mélancolie noire la profonde satisfaction de vouloir mourir. D’envoyer le monde au diable. » Des adolescents mettent fin à leur vie en peaufinant les conditions de leur suicide et en y associant leurs proches. Et toujours, à proximité, une cassette, une « mixtape unique créée pour l’occasion par un obscur musicien underground ». Voilà, résumé, ce roman, Les Corps de verre, du duo Jerker Eriksson (né en 1974) et Håkan Axlander Sundquist (né en 1965), et signé du nom de plume Erik Axl Sund. Les courts chapitres se succèdent sans, avouons-le, parvenir à capter durablement l’attention du lecteur pourtant assez bien disposé que nous sommes. Tout est réuni là pour un polar mais tout semble trop artificiel. Polar gothique pour ados, peut-être ?
* Erik Axl Sund, Les Corps de verre (Mélancolie noire) (Glaskroppar, 2014), trad. Rémi Cassaigne, Actes sud (Actes noirs), 2015
Une vie de poupée

Il y a des romans policiers bien conçus, sans doute emplis de bons sentiments, mais qui peuvent insupporter le lecteur, tant un aspect glauque ou de voyeurisme s’en dégage. Une Vie de poupée de Erik Axl Sund est de ceux-là. Si nous comprenons bien les intentions du duo d’auteurs derrière ce pseudo (Jerker Eriksson, né en 1974, et Håkon Axlander Sundquist, né en 1965), les trafics d’êtres humains, et notamment de femmes contraintes de se prostituer, sont abjects. L’enquête menée à partir du suicide – ou de la mise en scène du suicide – d’une jeune fille le démontre. « L’homme qu’elle a devant elle est l’un des trois violeurs de Boko Haram, il est un médecin qui leur a volé leur maison, il est un Turc qui vendait d’inutiles gilets de sauvetage, tous les racistes qui leur ont craché dessus avec des insultes innommables, tous les gros types qui brisent les bras des fillettes et baisent des bouches de fillettes, et il est ces vieilles qui raflent l’argent pour elles, il est ces hommes qui tuent des chats. L’homme devant elle est tout ça à la fois rassemblé dans un seul corps. » Le policier qui remonte les pistes se nomme Kevin Jonsson, il conduit un vélomoteur, un Vespa, quand il n’emprunte pas un véhicule de fonction, et habite dans un cabanon de jardin – à l’année, en dépit du règlement. Électron libre au sein du commissariat de Kronoberg, il découvre que son propre père aurait peut-être été l’un des pédophiles violeurs mis en cause dans son enquête. Malaise ! Un roman sans originalité, il y a en tant sur ces thèmes, traité sans non plus de surprise. Les Corps de verre, le premier volume de cette série, Mélancolie, nous avait laissé sceptique. Celui-ci ne nous inspire pas plus.
* Erik Axl Sund, Une Vie de poupée (Dockliv, 2014), trad. Rémi Cassaigne, Actes sud (Actes noirs), 2021
Victimes

Un corps est découvert dans une grange près de l’E18, à proximité de Rimbo, au nord de Stockholm. Carl Edson, commissaire de la police criminelle, se prépare à ouvrir une enquête pour meurtre, mais voilà que le corps n’est pas mort. Transféré à l’hôpital, l’homme est très gravement blessé. Il a été atrocement torturé. Pus il décède sans avoir pu parler. À la tête d’une petite équipe de policiers, Carl Edson « allait sur ses cinquante-et-un ans. (…) Il avait exercé le métier de policier pendant près de la moitié de sa vie, et au cours de cette carrière il avait quasiment tout vu. Sa fille âgée de seize ans le qualifiait régulièrement de facho sans cœur. (…) En vérité, l’adjectif qu’elle aurait certainement dû utiliser était ‘froid’. » Le commissaire essaie d’appréhender son métier avec recul mais les meurtres auxquels il est aujourd’hui confronté, puisque plusieurs autres ont lieu, le déroutent. « Le dénominateur commun entre toutes les victimes était constitué de viols et d’agressions sexuelles. En toute logique, cela pointait vers une volonté de se venger. Une vengeance personnelle et cruelle. » Bo Svernström (né en 1964, journaliste dans la presse écrite) signe, avec Victimes, donné comme son premier roman, un livre très prenant. La parole est alternativement offerte à l’assassin et aux enquêteurs – les policiers et une journaliste. En dépit du sort fait aux victimes, toutes affreusement torturées (avec sans doute trop de raffinements, le lecteur peut décrocher), difficile de les plaindre, à l’évocation de leurs crimes. On peut placer ce livre aux côtés des trois de Camilla Läckberg consacrés à la vengeance des femmes contre les hommes (La Cage dorée, Femmes sans merci, Des Ailes d’argent), à la série Millénium de Stieg Larsson et à d’autres parus depuis la vague #MeToo. Original dans sa forme plus que dans son thème, avec cette situation criminelle observée par la police, puis, deuxième partie de ce copieux roman, par l’auteur des crimes, il est très prometteur. Les personnages sont tous bien présents, l’intrigue se tient. D’un point de vue de la morale, il ouvre le champ à la discussion, puisque n’offrant pas de solution judiciaire dans les règles. Bo Svernström a publié d’autres romans. On attend avec impatience de les lire.
* Bo Svernström, Victimes (Offrens offer, 2018), trad. Lucas Messmer, Denoël (Sueurs froides), 2021
Froid mortel

Dans Froid mortel, Johan Theorin (né en 1963) quitte l’île d’Öland (où il situe l’action de quatre de ses romans, très bons) pour la côte ouest de la Suède. Encore jeune professeur des écoles, Jan Hauger est embauché dans une maternelle qui accueille des enfants dont les parents résident à l’hôpital psychiatrique voisin. Le règlement est plutôt strict et surprenant mais il l’accepte volontiers. Peut-être parce que lui-même dissimule des secrets et qu’il ne tient guère à se faire remarquer ? Ou parce qu’il prépare l’évasion de celle qu’il a aimée des années auparavant et qui, croit-il, séjourne dans l’institution ? « Il sait que tous les fantasmes violents finissent de la même façon quand ils se réalisent : dans la terreur, les remords et la solitude. » Nul doute que Froid mortel, dont la fin peut sembler un peu expédiée, déconcertera les lecteurs qui ont apprécié les volumes précédents de Theorin. Non pas que ce roman soit sans qualités mais l’auteur rend si bien l’atmosphère propre à l’île d’Öland que le lecteur peut regretter de ne pas la retrouver ici.
* Froid mortel (Sankta psyko, 2011), trad. Rémi Cassaigne, Albin Michel, 2013
Öland, retour

Johan Theorin a déjà consacré trois romans à l’île d’Öland. Consacré, car l’île, plus qu’un décor, est l’un des acteurs de ces livres. Dans notre Dictionnaire du roman policier nordique (Les Belles lettres), nous avions dit beaucoup de bien de cet auteur, l’un des plus originaux, des plus séduisants du courant policier suédois, qui n’hésite pas à verser parfois dans le fantastique. Son dernier roman traduit en français, Fin d’été, clôt le cycle commencé avec L’Heure trouble et, de nouveau, mêle présent et passé. Le lecteur découvrira que tous émigrants suédois ne se sont pas dirigés vers l’Amérique du Nord, quelques-uns, après 1917, préférant rejoindre l’URSS et y perdre leurs espoirs. On retrouve dans ce roman Gerlofd Davidsson, qui va mener l’enquête sans les services de la police. Tout est crédible, pour qui le souhaite, mais le charme opère moins que dans les précédents volumes. Theorin tire trop sur la corde et quand un vieillard est assisté d’un adolescent pour rétablir la justice sur l’île, le lecteur sourit. Quant au parcours du « revenant », Aron Fredh, tueur du NKVD puis vengeur sur le tard, il aurait mérité un roman à lui seul – sans connexions policières. Mais que cet avis n’empêche pas la lecture des trois premiers titres.
* L’Heure trouble (Skumtimmen, 2007), trad. Rémi Cassaigne, Albin Michel, 2009
* L’Écho des morts (Nattfåk, 2008), trad. Rémi Cassaigne, Albin Michel, 2010
* Le Sang des pierres (Blodläge, 2010), trad. Rémi Cassaigne, Albin Michel, 2011
* Fin d’été (Rörgast, 2013), trad. Rémi Cassaigne, Albin Michel, 2015