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La Part de l’ange (Doggerland 2)

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Comment parler d’un roman, quand il ne présente absolument aucun intérêt, si ce n’est celui d’inciter le lecteur insomniaque à fermer les paupière ? La Part de l’ange, de Maria Adolfsson, est le deuxième volume de la série Doggerland, située sur un territoire imaginaire entre la Grande-Bretagne et les Pays-Bas. Un homme est découvert mort, puis un autre, qui lui est apparenté, peu après. Une histoire de gros sous dans une fabrique de whisky, est amené à penser le lecteur, avant qu’une autre histoire sans lien se greffe dessus. L’enquêtrice n’est pas des plus crédibles. « Ce n’est pas bien, se dit l’inspectrice de police Karen Eiken Hornby en saisissant l’appareil. Pas bien du tout, mais c’est le seul moyen. » Faux pas, le premier volume, portait déjà très bien son titre. La Part de l’ange est une enquête pas même haletante, sans un côté historique ou sociologique qui rattraperait l’absence de profondeur.

* Maria Adolfsson, La Part de l’ange (Doggerland 2) (Stormvarning, 2019), trad. Marina Heide, Denoël (Sueurs froides), 2021

 

Faux pas

Quelque part entre Håkon Nesser, pour l’utilisation de lieux complètement fictifs (un archipel entre le Danemark et la Grande-Bretagne, qui aurait existé il y a très longtemps) et Viveca Sten pour le côté légèrement nunuche (Meurtres à Sandhamn), voici Maria Adolfsson (née en 1958) avec Faux pas. L’inspectrice Karen Eiken Hornby commet un « faux pas » en finissant la nuit, lors de l’Oïstra, la fête des huîtres – grand événement local, avec son chef, l’exécrable Jounas Smeed. Au matin, quand elle se réveille, c’est dans la précipitation qu’elle quitte leur chambre d’hôtel. Mais sitôt arrivée chez elle, elle apprend que la femme de Jounas Smeed a été assassinée. Doit-elle fournir un alibi à son collègue ? L’enquête avance sur plus de cinq cents pages, pour ce premier volume d’une série à venir. Des fausses pistes, évidemment, et une enquêtrice qui, au final, a eu raison contre toute son équipe. Du déjà lu mille fois. Attendons la suite.

 

* Maria Adolfsson, Faux pas (Felsteg, 2018), trad. Anna Postel, Denoël (Sueurs froides), 2019

X raisons de mourir

X raisons de mourir

« Statistiquement, le petit garçon avait toutes les chances de réapparaître de lui-même dans la journée et cette histoire trouverait une explication simple et logique », se dit l’inspectrice Irene Lilja, avant de découvrir le cadavre du jeune enfant d’origine syrienne dans le tambour d’une machine à laver. Un meurtre raciste, comme certains éléments le suggèrent ? Ses collègues ne savent que penser. « Crime d’honneur » ? « Xénophobie » ? Comme les précédents romans de Stefan Ahnhem, celui-ci, X raisons de mourir, prend pour cadre les environs de Helsingborg et du détroit de l’Öresund. La Scanie est la région de Suède où les Démocrates (cette extrême droite qui se vêt du costume de la démocratie pour mieux se fondre dans le paysage) font leurs plus gros scores électoraux. L’un des membres ou sympathisants du parti serait-il le coupable ? Puis d’autres meurtres sont commis, non moins atroces. Cette référence à l’implantation de l’extrême droite n’est pas sans évoquer les romans policiers de Fredrik Ekelund (L’Enfant sous le chêne), auteur qui situe lui aussi en Scanie, bastion des thèses nationalistes suédoises, ses intrigues. Stefan Ahnhem ne montre aucune sympathie pour les Démocrates de Suède. Sous sa plume, leurs membres et leurs électeurs sont de vraies crapules. Les trois enquêtes qui s’ouvrent bientôt ont toutes des liens avec eux. Les trois précédents romans de Stefan Ahnhem nous avaient laissé plutôt sceptique, mais celui-ci a beaucoup plus d’épaisseur. Plusieurs enquêtes se déroulent en parallèle, elles se croisent parfois, et les personnages principaux sont longuement présentés, à commencer par Fabian Risk (« je continue de penser que tu es aussi incompétent que la majorité des enquêteurs judiciaires dans ce pays », lui lance un collègue médecin légiste), dont la vie familiale se disloque, ou Irene Lilja, directement confrontée à l’extrême droite et à ses violences. Certes dense, le roman est bien construit, faute de grande originalité, et le lecteur ne le referme pas avant la fin – laquelle ouvre en fait le volume suivant, avec un collègue de Fabian Risk directement impliqué dans une série de crimes. Ce quatrième volume avec l’inspecteur Fabian Risk du commissariat de Helsingborg relève enfin le niveau de cette série, de plus en plus sympathique.

* Stefan Ahnhem, X raisons de mourir (Motiv X, 2018), trad. Caroline Berg, Albin Michel, 2023

Moins 18°

On ne va pas chipoter, Moins 18°, le dernier roman de Stefan Ahnhem, est agréable à lire. Tout au moins une grosse première partie. En Suède, dans la région de Malmö et de Helsingborg, des meurtres sont commis. Les victimes ? Des individus dont la fortune a été mystérieusement détournée par leurs sosies. De l’autre côté du détroit, à Copenhague, des SDF sont sauvagement assassinés. Les policiers enquêtent, dont Fabian Risk en Suède et Dunja Hougaard au Danemark. Leurs investigations se recouperont-elles ? Tout s’enchaîne bien. De nouveaux meurtres accélèrent l’action, jusqu’au moment où l’intrigue va à vau-l’eau. Notamment en Suède, avec des meurtres de plus en plus sophistiqués pour des motifs de plus en plus alambiqués. Les auteurs, assez vite connus, sont des personnages improbables, et leurs méthodes, notamment l’assassinat par usage d’un congélateur (le cadavre « était aussi froid et dur que des côtelettes d’agneau dans mon congélo » explique un collègue de Fabian Risk), d’où le titre, peinent à être expliquées. Et comme dans ses deux précédents romans (Hors cadre et La Neuvième tombe), les actes sont d’une violence extrême. On se dit qu’avec cent ou deux cents pages de moins, Stefan Ahnhem aurait peut-être signé un roman véritablement palpitant.

 

* Stefan Ahnhem, Moins 18° (Arton grader minus, 2016), trad. Marina Heide, Albin Michel, 2020

 

 

 

La Neuvième tombe

Pas mal de pub pour la sortie en français de ce second volume de Stefan Ahnhem, La Neuvième tombe. Gagnez un week-end à Stockholm, promettait l’éditeur, à destination des lecteurs. Un jour de 2009, le Ministre de la justice suédois disparaît dans l’enceinte du Parlement. L’enquête démarre. Dans le même temps, des crimes sont commis au Danemark, liés semble-t-il à cette disparition, des individus sont enlevés, disséqués. Oui, disséqués, énucléés ! On dit parfois que le roman policier nordique n’est pas des plus sanglants, mais Stefan Ahnhem s’est fait un devoir de contredire l’affirmation. Comme à chaque fois que des psychopathes sont au centre d’une enquête, une violence extrême se déploie, avec une sophistication de moyens. Voici ce que cela donne quand Dunja Hougaard, une enquêtrice danoise, est enlevée par le terrible assassin et transportée dans un coffre de voiture : « Le goût métallique qu’elle sentait sur sa langue lui révéla que la substance n’était que du sang. Mais son odeur immonde lui fit comprendre que ce sang était mélangée à du jus de cadavre en décomposition. Elle fut prise de spasmes et essaya de vomir, mais toutes ses tentatives se limitèrent à cracher quelques glaires... » Que de morts, que de corps déchiquetés, mutilés, pour une enquête qui se multiplie et part dans tous les sens. Les principaux suspects sont innocentés, tout au moins pour les crimes dont ils pourraient avoir été les auteurs, alors que l’action se complexifie au fur et à mesure de la lecture. De fait, tout est possible, les explications sont inutiles, la rationalité n’a pas cours. Nombre de personnages apparaissent dans La Neuvième tombe, tous bien présentés tant dans leur milieu professionnel que dans leur famille : à commencer par Fabian Risk, inspecteur à Stockholm, et sa collègue Malin Rehnberg, enceinte de jumeaux, policiers présents déjà dans Hors cadre, premier volume de la série. Les pistes s’annulent les unes après les autres, rien n’est crédible et au final, tout est censé s’expliquer. On s’accroche : une histoire de transplantations d’organes humains qui démarre en Israël. Si, si ! Comme avec Hors cadre, que de pages pour une enquête sans intérêt !

 

* Stefan Ahnhem, La Neuvième tombe (Den nionde graven, 2015), trad. Caroline Berg, Albin Michel, 2019

Hors cadre

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L’inspecteur Fabian Risk vient de quitter la police de Stockholm pour habiter à Helsingborg, ville dans laquelle il a passé son enfance. Avec sa femme et leurs deux enfants, il espère profiter de six semaines de vacances avant de reprendre son travail. Mais sa « nouvelle patronne », Astrid Tuvesson, vient lui annoncer qu’un enseignant de travaux manuels a été retrouvé assassiné dans l’école où il enseignait, qui est aussi l’école dans laquelle Fabian Risk a été élève. Qui plus est, le policier a été dans la même classe que la victime. Caractéristique dont nous ne nous plaindrons pas, Hors cadre (Victime sans visage en suédois) est un roman qui fait référence aux livres et ce, à plusieurs reprises. Les divers protagonistes de l’enquête possèdent des livres et l’auteur en énumère quelques-uns. Fabian Risk comprend vite que toute la classe va être victime d’un assassin. Qui est cet assassin et pour quelle raison a-t-il décidé de tuer une vingtaine d’anciens camarades ? Les faits s’enchaînent, le lecteur a envie d’en savoir plus mais reste sur sa faim. Le coupable : celui qu’on ne voit pas ? « …L’homme était d’apparence si anonyme (que personne ne faisait) attention à lui. (…) Pas la moindre asymétrie du visage. Un nez ni long ni court, les yeux d’une couleur indéfinissable. (…) Il n’avait pas l’air d’un dangereux criminel… » (On peut penser au roman justement intitulé Celui qu’on ne voit pas, de Mari Jungstedt). La toile de fond de ce roman policier n’a que peu d’épaisseur – mais tout de même 570 pages. Nous sommes là dans le registre du fait divers, un fait divers qui ne donne même pas matière à réflexion comme chez certains auteurs. Né à Stockholm en 1966, Stefan Anhem est cinéaste, il a notamment adapté plusieurs épisodes de la série Wallander de Henning Mankell. Hors cadre est le premier volume d’une probable série (il y a d’ores et déjà un deuxième titre, non encore traduit) centrée sur l’inspecteur Fabian Risk.

 

* Stefan Ahnhem, Hors cadre (Offer utan ansikte, 2014), trad. Marina Heide, Albin Michel, 2016

Le Dernier péché

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Après avoir fait une chute du septième étage d’un immeuble dix ans plus tôt et avoir survécu, Nora Lindqvist est devenue conférencière et auteure de livres consacrés au bien-être. Livres qui ont rencontré le succès, grâce, notamment, à son mari, par ailleurs son agent littéraire. Aujourd’hui mère de deux jeunes enfants, elle s’attaque à son prochain ouvrage, sur les sept « péchés capitaux » (plus, éventuellement, un huitième, mystérieux), et pense avoir tout pour être heureuse. Mais un jour une nouvelle voisine, en apparence très charmante, vient occuper la maison d’en face et l’existence de Nora bascule. Le comportement de son mari la surprend, celui de ses enfants l’inquiète. Tout déraille. « L’heure était venue de tirer une leçon de ses propres livres. De reprendre les rênes de sa vie. Elle inspira profondément, ouvrit son manuscrit et relut son texte. En dépit de sa résolution, chaque mot sonnait comme une accusation. » Journaliste et rédactrice en chef du magazine féminin Damernas värld, Rebecka Edgren Aldén signe là son premier roman. Toujours en quête de reconnaissance, son personnage principal, Nora Lindqvist, n’est pas des plus sympathiques. Le Dernier péché est un thriller psychologique, selon le terme consacré, pas forcément très original mais on se laisse emporter. La fin peut surprendre.

 

* Rebecka Aldén, Le Dernier péché (Den åttonde dödssynden, 2015), trad. Lucas Messmer, Denoël (Sueurs froides), 2017

La Maison sans miroirs

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Daniel et Sonja, un couple de Suédois, ont acheté une maison, « ou plus exactement un domaine viticole », « en bordure de la ville, de l’autre côté de la rivière et à flanc de montagne », quelque part en Bohème, dans la région des Sudètes. Leur objectif ? Recommencer leur vie, tous deux professionnellement insatisfaits, éventuellement en redémarrant l’exploitation viticole et en faisant chambre d’hôte une fois la maison rénovée. Mais le cadavre d’un enfant est découvert dans l’une de leurs caves. Serait-il mort là, dans les années 1930 ? Ils s’interrogent sur l’histoire de la région. Tchèques et Allemands vivaient paisiblement ensemble. Mais quand Hitler a annexé les Sudètes à la suite des Accords de Munich, les Allemands sur place l’ont applaudi ; après la guerre et ses atrocités, ceux qui parmi eux survivaient ont été contraints de partir. « En quelques mois, la population avait changé ; une culture entière et la moitié de l’histoire de la région avaient disparu. » La maison semble avoir sa vie propre, au milieu de ces drames. Peu de temps après, une femme est retrouvée morte sous un tilleul, devant l’entrée, alors que Sonja était à Prague pour des achats et, secrètement, pour passer la nuit avec son amant. Sonja mène son enquête parallèlement à celle de la police, et remonte l’histoire – l’histoire, toujours en filigrane chez Tove Alsterdal. « Ce n’est parce que Hitler était fou que nous (les Tchèques), nous étions complètement sains d’esprit », lui rétorque-t-on. Ce nouveau livre de Tove Alsterdal, La Maison sans miroirs, prouve son grand talent d’auteur de romans policiers. Ou de romans, tout simplement, car, une fois de plus (cf. Femmes sur la plage, Dans le silence enterré, Tango fantôme, etc.), la dimension policière n’efface pas la dimension historique – et humaine – de ses ouvrages. Ici, c’est une page méconnue, oubliée, de l’histoire qu’elle évoque. « ...D’où a bien pu venir cette haine ? » Les personnages sont terriblement vivants, au point que le lecteur a l’impression de les entendre respirer entre les lignes, l’action avance logiquement. Tove Alsterdal révèle une fois de plus combien, par le biais de sa maîtrise de l’écriture, elle est capable de mettre en perspective des faits historiques oubliés. Ses romans ne sont à l’évidence pas que des polars. Elle se situe sur le terrain littéraire, de qualité, de Henning Mankell ou de Arnaldur Indriðason.

* Tove Alsterdal, La Maison sans miroirs (Blindtunnel, 2019), trad. Isabelle Piette, Rouergue (Noir), 2021

 

Femmes sur la plage

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Tove Alsterdal (née en 1960) a été journaliste, dramaturge et scénariste pour la radio et la télévision. Avec Femmes sur la plage, elle signe un premier roman qui ne prend quasiment pas la Suède pour cadre. Au travers du parcours de trois femmes, notamment une Américaine à la recherche de son mari, journaliste disparu à Paris alors qu’il enquêtait sur le trafic des êtres humains, voici un polar qui place d’emblée Tove Alsterdal parmi les meilleurs auteurs du genre. La politique d’immigration des pays occidentaux et le racisme sous-jacent des mesures visant à la restreindre sont au centre d’une intrigue, hélas ! très crédible. « …Il m’a parlé d’immigrants exploités, de travail forcé, d’esclavage, et du rôle de la mondialisation dans le développement de tout ça. » Remarquons aussi que ce volume ne semble pas être le premier d’une série, comme nous y ont habitué la plupart des auteurs de romans policiers. S’agit-il même d’un roman policier ? Une intrigue existe mais la police en est singulièrement absente. Le journaliste disparu se méfiait d’elle, non sans raison. Un grand livre, presque surprenant dans sa forme.

Le suivant, Dans le silence enterré, se déroule en Suède. Et plus particulièrement à la zone frontalière avec la Finlande, au-dessus du golfe de Botnie, là où les habitants parlent une langue qui leur est propre, le meänkieli. Katrine Hedstrand est journaliste et vit à Londres. Quand sa mère, qui habite Stockholm, est hospitalisée, elle se rend à son chevet et découvre que celle-ci possède une maison près de Haparanda. Une agence immobilière l’a informée qu’un client souhaite l’acheter à un prix exorbitant. Mais qui peut vouloir se porter acquéreur d’une ruine sans intérêt ? Presque malgré elle, Katrine va remonter le passé, faire connaissance de manière posthume avec sa grand-mère, apprendre que de jeunes Suédois et Finlandais ont, dans les années 1930, rejoint volontairement l’URSS : l’utopie communiste, censée donner à chacun du travail, un toit, une famille… avant de briser des destinées. Arrêté par le NKVD, un jeune homme originaire de Suède est condamné pour espionnage : son grand-père, découvre-t-elle. Abattu dans un bois aux portes de Leningrad (Saint-Pétersbourg), comme tant d’autres. « Ce coup de feu, un événement qui avait eu lieu bien avant sa naissance, faisait partie intégrante de son histoire, même si elle ne savait pas encore comment. » À rapprocher du roman de Johan Theorin, Fin d’été, ou de celui de Leif Davidsen, Le Gardien de mon frère. Ou du film germano-norvégien de Georg Maas et Judith Kaufmann, D’une vie à l’autre (2012). Excellent livre, donc, que ce polar de Tove Alsterdal, Dans le silence enterré, avec une intrigue s’appuyant sur un riche travail historico-social. (Regrettons pourtant cet abus du mot « putain » par les traducteurs et ce, à toutes occasions, dans la bouche de tous les personnages, jeunes ou vieux, ruraux ou citadins… ! « Jeunisme », quand tu nous tiens !)

 

* Femmes sur la plage (Kvinnorna på stranden, 2009), trad. Johanna Brock et Erwan Le Bihan, Actes sud (Actes noirs), 2012

* Dans le silence enterré (I tystnaden begravd, 2012), trad. Johanna Brock et Erwan Le Bihan, Le Rouergue (Rouergue noir), 2015

Tango fantôme

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Charlie – Camilla pour l’état-civil –, une jeune femme qui habite dans le quartier de Jakobsberg à Stockholm, tombe par la fenêtre du onzième étage de son immeuble. Un suicide ? Tout le laisse d’abord penser. Contactée par la police, Helene Bergman, sa sœur cadette qui ne la voyait plus depuis des années, le pense. Mais elle s’aperçoit que Charlie enquêtait sur la disparition mystérieuse de leur mère, Ing-Marie, probablement en Argentine en 1977. Quel rapport avec sa propre mort, en 2014 ? L’enquête commence en Suède et se poursuit vite en Argentine, quand Helene accumule les soupçons et qu’elle ressent le besoin de lier le passé et le présent pour comprendre ce qui est arrivé à sa sœur. Comme dans ses précédents romans, Tove Alsterdal nous emmène là dans l’intimité de ses personnages. Le passé joue un rôle essentiel dans la construction de l’intrigue. Tango fantôme est avant tout une œuvre littéraire qui plonge le lecteur dans une période récente, celle des dictatures d’Amérique du sud. Qui faisait quoi ? Qui était qui ? Quels liens avec la Suède ? Helene mène l’enquête malgré elle et remonte une piste qu’elle n’avait pas prévue : celle de sa mère. « Helene avait les muscles et les articulations endolories après avoir passé la journée à sauter d’avion en avion, mais plus encore d’avoir constamment joué les équilibristes entre la vérité et les non-dits. » Car la vérité est complexe et à qui peut-elle la révéler – sûrement pas à Jocke, son mari, qui ne comprendrait pas, ou pas en totalité. S’il s’agit d’un roman policier, Tango fantôme diffère de ceux qui sont publiés aujourd’hui par la profondeur de son enquête et, ce qui n’est pas rien, par la richesse de ses observations – un livre intelligent. Par le biais de ses portraits de femmes (une mère et ses deux filles), Tango fantôme nous rappelle cette tragédie, l’instauration de juntes militaires, qui a touché l’ensemble des pays d’Amérique du sud dans les années 1970 et après, et dont les traces douloureuses subsistent encore aujourd’hui – cf., par exemple, les mères de la place de Mai à Buenos Aires.

 

* Tove Alsterdal, Tango fantôme (Låt mig ta din hand, 2014), trad. Emmanuel Curtil, Rouergue (Noir), 2017

 

Chant des âmes sans repos

On peut toujours se poser la question, avec Tove Alsterdal : son livre relève-t-il du roman policier ? Remarque qui vaut pour les précédents (Femmes sur la plage, Dans le silence enterré...) tout comme pour celui-ci, Chant des âmes sans repos. Sur l’emplacement de l’hôpital psychiatrique de Beckomberga, à une époque le plus grand d’Europe, des maisons luxueuses ont aujourd’hui été construites. Là où habite Svante, que son ex-femme, Eva, harcèle. Un soir, elle le suit dans un commerce et, en sortant, il est assassiné. Elle, est violemment frappée, mais dans un premier temps la police l’accuse. « Avant ce soir-là, un soir de la fin août, au moment d’abandonner le sentier goudronné pour se glisser dans un bosquet derrière la maison où vivait Svante, Eva Leander-Olofsson n’avait jamais vraiment pris conscience de ses limites et encore moins de ce qu’elle était susceptible de mettre en œuvre pour les dépasser. » Chant des âmes sans repos (le titre évoque clairement le lieu principal de l’intrigue) est un roman très riche, peut-être trop, qui entraîne le lecteur de la capitale suédoise à Berlin ou aux fins fonds de la Roumanie. Peut-être trop riche, en effet, car diverses problématiques se greffent sur l’enquête policière, laquelle se double de l’enquête menée par Eva elle-même : le sort des migrants, notamment des Roms, en Suède et en Europe ; l’institution de Bekomberga et sa fermeture ; le Dark net et ses trafics... On s’y perd un peu, on a du mal à relier ces différents éléments et le rôle exact de Svante, bien que le roman se lise avec grand plaisir et qu’il déborde d’intelligence. Cette remarque énoncée, rappelons que Tove Alsterdal nous semble être, aujourd’hui, l’une des plus intéressantes auteures de romans dits policiers. Chant des âmes sans repos est un roman multiple, dont l’intrigue est avant tout alimentée par la psychologie des personnages. Passionnant.

 

* Tove Alsterdal, Chant des âmes sans repos (Vänd dig inte om, 2016), trad. Johana Brock et Erwan Le Bihan, Rouergue (Noir), 2019

Les Eaux troubles d’Oskarhamn

Les eaux troubles d orskarshamn les nuits rouges de la bal

Quand le corps d’une femme est découvert sur une plage près de la commune d’Oskarshamn, face à l’île d’Öland, l’inspecteur Lars Edberg, « quarante-huit ans, un physique de rugbyman, au visage buriné par sa passion pour la mer », et Lena Bergström, « sa coéquipière, belle blonde de quarante-deux ans, à la silhouette sportive et élancée », filent sur place. Les policiers ne tardent pas à identifier la victime, une employée de la centrale nucléaire située à une trentaine de kilomètres de là. Le lecteur peut alors s’attendre à une histoire liée à l’industrie de l’atome, pourquoi pas une affaire d’espionnage, de terrorisme ou de lutte pour l’environnement, mais pas du tout. Les écologistes présents dans ce roman du Français Robert Audiffren (parcours professionnel dans le monde de la finance et de la gestion des fortunes) ne jouent qu’un rôle de second plan et ne sont bons qu’à se faire violemment agresser, par de gros bras baltes évidemment, sans que la justice s’en mêle. L’intrigue rappelle plus Agatha Christie que Stieg Larsson, en dépit du prénom et du portrait de l’un des personnages principaux : Lisbeth « avait un style atypique chez une femme de trente ans (…). Très grande, longiligne, ceinture cloutée, pantalon gris anthracite moulant ses jambes qui semblaient n’en plus finir. Avec sa chevelure noire, coupée en carré, dégradée sur la nuque, elle aurait eu un beau visage sans ses piercings dans une narine et dans son oreille gauche. » On vous a reconnue, mademoiselle Salander ! D’Oskarhamn à Hjo, sur la côte ouest du lac Vättern (orthographié d’un bout à l’autre de l’ouvrage Vattern), le lecteur ne s’ennuie pas car les événements s’enchaînent, même si ce roman dont la plupart des personnages sont bi ou homosexuels, voire un peu plus transgressifs, est plutôt pépère, pour ne pas dire décevant. Pognon, pouvoir et tromperies diverses, rien de bien nouveau. Le tout dans une contrée que l’auteur « connaît bien et affectionne tout particulièrement » selon la quatrième de couverture (la première de couverture évoque bizarrement plus les fjords norvégiens que les côtes de la Baltique).

* Robert Audiffren, Les Eaux troubles d’Oskarhamn, Les Presses du Midi, 2022

Isola

L’île d’Isola est censée se trouver à l’extrémité de l’archipel de Stockholm. C’est là qu’en 2037, alors que la Suède est un Protectorat placé au sein de l’Union amicale depuis la fin de la Seconde Guerre froide, au début des années 2000, qu’une expérience est menée. Des volontaires sont recrutés, tous reconnus pour leurs compétences dans leur domaine professionnel, afin d’occuper une haute fonction classée secret défense. Anna Francis est célèbre pour avoir accompli avec succès une mission humanitaire quelques part à la frontière entre l’Ouzbékistan et le Turkménistan. Les autorités lui demandent d’espionner ses coéquipiers. Elle va s’y exercer et pour cela, se faire passer pour morte. « Ma mission serait d’évaluer la manière dont les candidats appréhendaient mon trépas dramatique : ceux qui prenaient volontiers des initiatives, ceux qui se préoccupaient surtout de la sécurité du groupe, ceux qui émettaient des théories sur le déroulement des faits, etc. » Mais l’expérience ne se passe pas du tout comme le prévoyaient le « président » et son « secrétaire ». Ce roman de Åsa Avdic (née en 1974, journaliste pour la radio et la télévision nationale suédoise), Isola, est un huis-clos et quoi de mieux qu’une île comme décor (cf., dans la même zone géographique, les romans policiers de Viveca Sten, par exemple) ? Il mêle récit de politique-fiction – éventuellement – et enquête policière. Aucun rapport avec les romans policiers nordiques dont le lecteur a l’habitude ; plutôt, ici, un volume entre Dix petits nègres/Ils étaient dix et un récit de SF comme La Kallocaïne. Avec la question, tout de même, de savoir ce qu’apporte cette dystopie à l’intrigue...

 

* Åsa Avdic, Isola (Isola, 2016), trad. Esther Sermage, Actes sud (Actes noirs), 2020

 

Furioso

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Directrice d’orchestre, compositeure, Carin Bartosch Edström (née en 1965) avoue que Thomas Bernhard et Thomas Mann sont ses auteurs favoris. Furioso : près de six cents pages dans sa traduction française, c’est beaucoup pour un roman dénués de véritable action. Une première grosse moitié du livre est consacrée à la présentation des rapports qu’entretiennent cinq personnages, quatre femmes et un homme, musiciens de talent, confinés sur une petite île de l’archipel de Stockholm pour l’enregistrement d’un quatuor de Wilhelm Stenhammar. Au fil des pages, il se révèle que la future victime, le nommé Raoul Liebeskind, a vécu une relation amoureuse avec chacune des femmes présentes et que la police, pour dénouer l’énigme, devra mener une véritable enquête psychologique des uns et des autres. On se prend à penser, au cours de la lecture, que réduite de moitié, l’enquête, aux mains de la commissaire Ebba Schröder (dont on sait très peu de choses sinon qu’elle aime l’opéra et la bonne chère) aurait sans doute été plus digeste. Commissaire que l’on devrait retrouver dans de prochaines enquêtes.

 

* Carin Bartosch Edström, Furioso (Furioso, 2011), trad. Frédéric Fourreau, JC Lattès, 2012

Annabelle

Annabelle Roos, dix-sept ans, se rend à une soirée, à Gullspång, petite ville près du lac Vännern. Elle disparaît. Une fugue ? Un suicide ? Ou... un enlèvement ? Policière au commissariat de Stockholm, Charlie Lager est envoyée dans cette ville qu’elle a autrefois quittée sans regret. Elle « avait débarqué dans la Section opérationnelle nationale deux ans plus tôt. Ça n’avait pas été facile au début. (...) On ne lui pardonnait pas d’avoir fait une carrière éclair, ni d’avoir passé une licence de psychologie avant même de commencer l’école de police. » Charlie est mal à l’aise à l’idée de retrouver un passé pesant. « Une parodie de flic. Seule, socialement inapte, portée sur la bouteille. » Son collègue Anders Bratt l’accompagne. « Il pouvait se montrer arrogant et railleur (mais) il possédait trois qualités qu’elle appréciait par-dessus tout : le cœur, l’humour, la lucidité. » Pour Charlie, remettre les pieds à Gullspång dix-neuf ans après est un retour dans le temps. La ville est plus désolée que jamais. « Des filles qui deviennent mères très jeunes, mauvaise hygiène dentaire, chômage. La Suède profonde, quoi. » L’enquête est difficile, des faits anciens remontent et s’imbriquent – qu’en penser ? Annabelle est un roman séduisant et dont l’intrigue est assez crédible (on peut juste se demander pourquoi la police n’établit pas de parallèle entre la disparition d’Annabelle et d’autres affaires antérieures), qui prend la ville où l’auteure (née en 1977) a passé son enfance pour cadre. D’autres volumes sont annoncés, avec cette enquêtrice un peu improbable comme personnage central.

 

* Lina Bengtsdotter, Annabelle (Annabelle, 2017), trad. Anna Gibson, Hachette (Marabout/Blacklab), 2019

Francesca

Annabelle relatait un meurtre commis à Gullspång, élucidé une trentaine d’années plus tard. Dans ce nouveau roman de Lina Bengsdotter, Francesca, c’est un autre meurtre, commis à la même époque et étrangement oublié, qui motive l’enquêtrice Charlie Lager à se rendre de nouveau dans cette ville où elle a passé son enfance. « ...Le visage de Francesca Mild lui revint en mémoire. Qu’avait-elle vu, cette fille ? Quels mensonges avait-elle découverts ? Comment se faisait-il qu’aucun habitant du coin n’ait mentionné sa disparition ? (…) Parce qu’elle était une gosse de riche... ? » Quand Charlie revient, beaucoup se détournent d’elle ou se montrent agressifs. Pourquoi remuer le passé ? Heureusement, il y a Suzanne, une vieille amie, qui lui fait partager ses soucis, ou Johan, un journaliste qui ne la laisse pas indifférente et enquête avec elle. Entre retours dans le passé et action présente, le roman s’élabore. La disparition de Francesca n’est décrite et plus simplement suggérée, par le biais d’un rapport de police, qu’à la page... 156. Pas d’urgence, semble signifier Lina Bengtsdotter au lecteur, s’inscrivant en cela tout à fait dans le courant du roman policier nordique. Francesca qui s’était inquiétée d’une autre disparition, celle de Paul Bergman, un jeune homme donné comme son petit ami. Convaincue qu’il avait été assassiné par des membres de la jeunesses huppée de Gullspång, elle avait mené ses propres recherches, rabrouée par ses parents, par un psychiatre et par d’autres personnes tout aussi prétendument compétentes et surtout liées socialement entre elles. Le temps a passé, mais Charlie marche donc sur des œufs en menant cette enquête, avant de s’apercevoir qu’elle est directement concernée par les événements. Guère plus crédible que dans le volume précédent, Charlie Lager, quand elle exerce un boulot d’enquêtrice en dehors de tout cadre professionnel, mais l’ensemble est bien ficelé. Un roman plutôt sympathique, peut-on dire.

 

* Lina Bengtsdotter, Francesca (Francesca, 2018), trad. Anna Gibson, Hachette (Marabout/Blacklab), 2020

 

Beatrice

Beatrice

Après Annabelle et Francesca, voici Beatrice, le nouveau roman de Lina Bengtsdotter. Une narration qui s’éloigne du roman policier des auteurs suédois comme Roslund ou même Läckberg. Ici, Charlie Lager, enquêtrice à Stockholm et originaire de Gullspång (sur la rive opposée du Vännern se trouve Åmål, que le cinéaste Lukas Moodyson qualifie lui aussi de ville très ennuyeuse), est dépêchée à Karlstad où une fillette de neuf mois a été enlevée. Les parents disposent d’une fortune – une demande de rançon leur sera-t-elle adressée ? L’enquête avance laborieusement : personne n’a rien vu, rien entendu. Les pistes, de fait, sont multiples ; l’une d’entre elles les emmène à Mårbacka, dans ce qui fut la résidence de Selma Lagerlöf. Charlie est en proie à ses démons. L’image de sa mère alcoolique, aujourd’hui décédée, lui revient sans cesse. Elle-même est de caractère instable, accueillant dans son lit des inconnus de passage ou piquant une crise d’angoisse dans un ascenseur et buvant plus que de raison. Elle n’hésite pas à affirmer sa défiance des riches. Son personnage est intéressant, il change des policiers désabusés en scène dans beaucoup de romans suédois. « S’il y avait bien une chose qu’elle ne supportait pas, c’étaient les gens incapables de se regarder en face. Les étourderies et les défaillances morales ne lui posaient pas de problème. Mais il fallait au moins les assumer comme telles. » Lina Bengtsdotter (née en 1977 à Gullspång et par ailleurs professeur de suédois et de psychologie) propose ici un troisième volume que l’on ne peut que recommander aux lecteurs.

* Lina Bengtsdotter, Beatrice (Beatrice, 2020), trad. Anna Gibson, Black Lab, 2022

Ta fille morte

9782330058036

Bien des traducteurs ignorent la géographie des pays dans lesquels se passe l’action des romans qu’ils présentent aux lecteurs. Ainsi, dans ce polar allemand signé Alex Berg (pseudonyme de Stephanie Baumm, née en 1963), Ta fille morte, les régions suédoise du Härjedalen ou du Blekinge sont données pour des villes. « …Tout ce que je sais, c’est qu’elle a vécu avec ses parents à Härjedalen. (…) À part ça, je sais qu’elle a une tante à Blekinge… » Cette réserve énoncée, Ta fille morte est un roman dont l’intrigue est teintée d’un bout à l’autre de mélancolie. Caroline, qui habitait Hambourg, revient précipitamment en Suède après la mort de sa fille Lianne, renversée par un chauffard. Son amour de jeunesse, qui se révélera être le père de Lianne, est aujourd’hui policier à Stockholm. Il la reconnaît sur la photographie d’un excès de vitesse qu’elle commet. Pour quelle raison revient-elle au pays ? Le lecteur n’est pas tenu en haleine par les mystères de l’intrigue, dans ce roman ; en revanche, les comportements des personnages sont plus imprévisibles. D’autant plus lorsqu’une tempête de neige les oblige à relater ce passé qui explique la situation présente. Un roman prenant, d’une auteure allemande qui utilise l’exceptionnel décor de la région comprise entre Sveg et la frontière norvégienne.

 

* Alex Berg, Ta fille morte (Dein totes mädchen, 2013), trad. Denis Michelis, Jacqueline Chambon, 2016

Cinq lames d’acier

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Plusieurs histoires se croisent dans ce roman, Cinq lames d’acier, centré sur le personnage de Olivia Rönning-Rivera, déjà présente dans le volume précédent, Marée d’équinoxe, de Cilla (née en 1961) et Rolf Börjlind (né en 1943). Un homme est retrouvé pendu chez lui. Suicide ? Ou crime, plutôt ? Une femme est assassinée à Marseille. La première histoire concerne Olivia, la seconde Abbas el Fassi, assisté de Tom Stilton, cet ex-policier devenu SDF. Deux histoires complètement différentes, en plusieurs lieux, qui finissent toutes par se rejoindre, grâce à un personnage, le « Taureau », résidant à Marseille et à Stockholm. « Et ça n’augurait rien de bon. » Magie des romanciers ! La recette prend ou ne prend pas. Ici, même avec beaucoup de bonne volonté, il est bien difficile de se laisser emporter par les intrigues parallèles. Pour qu’un roman fonctionne, notamment dans le domaine du roman policier, le lecteur doit y croire au moins un tout petit peu, non ? À la recherche de son père et de sa mère tués une vingtaine d’années plus tôt, Olivia n’est pas antipathique, mais cela ne suffit pas. Qu’elle mène officieusement l’enquête avec l’assentiment de la commissaire Mette Olsäter, dont elle est la protégée, est peu vraisemblable. Outre les fausses pistes et les rebondissements en quantité, tous les ingrédients sont là : amour et sexe, porno, dénonciation de l’argent (Olivia « …était enfermée dans le bureau d’un des magnats de la finance suédoise. Prise au piège »), de la corruption politique… Mais adapter les romans de Maj Sjöwall et Per Wahlöö ou ceux de Henning Mankell pour en faire des feuilletons télévisés comme s’y exercent Cilla et Rolf Börjlind est une chose, écrire soi-même (ou à deux, en l’occurrence) des scénarios en est une autre. Trop nombreux sont les morceaux de scotch utilisés pour rassembler les diverses intrigues noueuses de Cinq lames d’acier.

 

* Cilla et Rolf Börjlind, Cinq lames d’acier (Den tredje rösten, 2013), trad. Martine Desbureaux, Seuil (Policiers), 2016

Colère blanche

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« Il suffit de dire les choses comme elles sont : notre peuple est en train de sombrer, notre race est menacée d’extinction, ce qui compte le plus pour nous est en passe d’être déshonoré. » Ainsi parlent quatre hommes réunis dans le bar d’un hôtel cossu de Stockholm, en 2005. Quelques années plus tard, une fillette de trois ans est retrouvée morte, étranglée, dans une petite commune de Scanie. Momentanément enquêtrice au commissariat de Höganäs, Olivia Rönning effectuait justement un jogging à proximité et a remarqué diverses choses qui l’intriguent. Peu après, à proximité de Stockholm, c’est un jeune garçon qui est assassiné. D’origine étrangère, encore une fois. Un groupuscule d’extrême droite serait-il impliqué ? L’enquête que mène Olivia Rönning, assistée de Mette Olsäter et, officieusement, de Tom Stilton (qui a à présent l’intention de se recycler en gardien d’immeuble), personnages déjà rencontrés dans les volumes précédents de Cilla et Rolf Börjlind, la conduit à s’intéresser à une communauté qui était installée dans les années 1970 dans l’archipel de Stockholm. « Le lien entre sectes religieuses et fascistes » serait-il « digne d’intérêt » ? « Dans les deux cas, le fanatisme est le moteur. Elles attirent le même public, des personnalité faibles, fascinés par des leaders forts, qui désirent accéder à des idées plus élevées, et sont persuadées que leur foi, qu’elle relève du domaine spirituel ou politique, est la seule juste. » Colère blanche est un roman ancré dans l’actualité, mentionnant notamment l’ascension électorale des Démocrates de Suède, parti politique d’extrême droite. On ne peut que regretter les toutes dernières pages, quand les éléments s’assemblent de manière un peu forcée les uns avec les autres. Un roman qui prend intelligemment place parmi les meilleurs du « policier nordique » récemment parus.

 

* Cilla et Rolf Börjlind, Colère blanche (Svart gryning, 2014), trad. Sophie Refle, Seuil , 2018

Sous les cendres

9782756431840

Marbäck, à dix kilomètres de Halmstad, région du Halland, novembre 1994. Une nuit, une maison flambe. À l’intérieur, une femme, Lovisa Markström, dont l’autopsie révélera qu’elle a été assassinée avant d’être la proie des flammes. Une enquête est ouverte, confiée notamment à un policier novice, Vidar Jörgensson, qui conclut que le coupable est un certain Edvard Christensson, déjà connu pour jouer facilement des poings, et par ailleurs l’oncle du jeune Isak Nyqvist, que ce dernier affectionne et considère presque comme son père. L’enquête est rondement menée, Edvard Christensson se voit condamné à une peine de prison. Mais une dizaines d’années plus tard, le policier est envahi par le doute. « Était-ce lui qui l’avait fait ? Peut-être, après tout. Il en était capable et il n’y avait pas vraiment d’autre suspect... » Une bande de malfrats d’origine yougoslave a commis des cambriolages dans le sud de la Suède, n’hésitant pas à incendier les lieux pour effacer toutes traces de leur passage. L’un d’entre eux aurait-il tué Lovisa Markström ? Le principal suspect a un alibi. Puis Edvard Christensson meurt en prison, suite à l’absorption d’une trop forte dose d’antalgiques. Dix ans plus tard, de nouveau. Karin, la femme de Isak Nyqvist, contacte Vidar, bien que celui-ci ait été évincé de la police pour avoir remis en cause les résultats de l’enquête sur la mort de Lovisa. Mais « flic un jour, flic toujours »... ! Isak a disparu. Signé Christoffer Carlsson, Sous les cendres est un roman qui avance lentement, les présomptions servent l’enquête plus que les preuves. Les personnages ont du corps. Un bon livre, d’une structure originale (en trois temps, sur trois périodes), très bien ficelé, loin de ces polars que l’on oublie sitôt la dernière page tournée. La crème du roman policier.

* Christoffer Carlsson, Sous les cendres (Järtecken : En roman om ett brott, 2019), trad. Carine Bruy, Pygmalion, 2022

Le Syndrome du pire

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Comme dans Le Lapin borgne, on retrouve beaucoup de jeunes dans Le Syndrome du pire, de Christoffer Carlsson. Ceux, notamment, que Leo Junker, policier affecté aux Affaires internes, au commissariat de Stockholm, a connus autrefois et qui pourraient bien, aujourd’hui, être en lien, il ne sait pas encore pourquoi mais des indices le lui laissent penser, avec le meurtre d’une jeune femme, une droguée, dans le foyer au premier étage de l’immeuble dans lequel il habite. Il n’est pas un enquêteur exceptionnel mais possède des capacités : « Quelques individus bien choisis peuvent vous livrer davantage d’informations sur une affaire que trois cents autres. La difficulté, c’est de les identifier et s’il y a bien un domaine dans lequel je suis doué, c’est ça : juger si une personne est utile ou pas. Ce n’est pas une caractéristique qui nous vaut d’être apprécié, mais c’est la mienne. » Plus qu’un roman policier classique, Le Syndrome du pire est un roman noir qui relate une jeunesse, celle de ce policier, ses égarements et ses erreurs, leurs conséquences lointaines et parfois terribles. L’ambiance est lourde, dans une banlieue (Salem, entre Stockholm et Södertälje) à peine sordide comme parfois peut l’être la banlieue.

 

* Le Syndrome du pire (Den osynlige mannen från Salem, 2013), trad. Carine Bruy, Ombres noires, 2015

Le Lapin borgne

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Né à Halmstad en 1986, diplômé en criminologie, Christoffer Carlsson vit aujourd’hui à Stockholm. Il est l’auteur de trois thrillers qui ont rencontré un grand succès en Suède. Le Lapin borgne est le deuxième. Au moins, parmi les innombrables romans policiers nordiques publiés ces dernières années, Le Lapin borgne surprend-il par sa forme. À Dalen, une petite commune du Halland, six jeunes découvrent et investissent une maison laissée depuis longtemps à l’abandon. Ils décident de commettre des cambriolages et… de revendre leur butin dans les brocantes ! Mais cela ne se passe pas comme ils le pensent, un meurtre a lieu, et la police enquête. « C’est une magnifique soirée d’été, deux jours avant la Saint-Jean. Nous nous dirigeons vers l’ancienne raffinerie, moi avec des côtes douloureuses et un œuf de la taille d’une prune sur la joue, et Kasper avec son strabisme et son lapin dans les mains. Au-dessus de nous, le ciel est marbré de rose, de violet et de rouge. Je perçois des odeurs de viande grillée, de bois fraîchement peint et de gaz d’échappement. Par la fenêtre ouverte d’une maison, j’entends quelqu’un siffler faux. » Bientôt, ce tableau presque idyllique se lézarde et la catastrophe survient. Histoire poignante, par ailleurs, de camaraderie et de surenchère… Regrettons simplement l’interminable liste de remerciements à la fin de l’ouvrage, qui éloigne bien Le Lapin borgne du pur objet de création littéraire. Mais à coup sûr, Christoffer Carlsson est un auteur à suivre.

 

* Christoffer Carlsson, Le Lapin borgne (Den Enögda kaninen, 2011), trad. Carine Bruy, Balland (Thriller), 2013

Nuit blanche à Stockholm

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« Il y a douze jours que j’ai repris du service et c’est ma deuxième garde de nuit. La question est de savoir ce que je fous ici », s’interroge Leo Junker au début de Nuit blanche à Stockholm, alors qu’il se trouve sur le lieu où un cadavre, tué à l’arme blanche, a été découvert. Ses problèmes d’addiction à la drogue ne sont pas résolus et certains de ses chefs savent le lui rappeler, lui qui ne se remet pas d’avoir abattu accidentellement un collègue six mois plus tôt (cf. Le Syndrome du pire) : « Pour eux, je ne suis que le louveteau des affaires internes, l’idiot sans esprit de corps qui a collé une balle dans le cou de l’un de leurs collègues. Le minable qui, depuis ce jour-là, ne peut plus tenir une arme à feu sans déclencher une attaque de panique. ». S’il tente pourtant de progresser dans son enquête, il s’en trouve vite dessaisi, au profit de la Säpo qui pense bien visualiser la situation. L’homme assassiné, maître de recherche en sociologie, était au centre de la guerre que se livrent les extrémistes de droite suédois et les antifascistes. Contre les méthodes paranoïaques de la Säpo, Leo Junker va remonter une piste qui lui fait comprendre comment les mouvements néo-nazis recrutent et agissent avec violence et comment la fraction nationaliste qui entend s’emparer du pouvoir (en l’occurrence les Démocrates suédois) les utilisent. Le portrait du policier est tracé en creux. Leo Junker n’est pas un antifasciste radical, pas un anarchiste : « Je ne partage pas leur foi dans l’idéologie pour laquelle ils se battent. Je n’ai pas peur de ce dont l’État est capable de faire au nom du capital ; je ne déteste pas l’industrie de la fourrure, ni le patriarcat, et je ne résiste pas. » Leo junker se cherche lui-même et son énergie pour ce faire n’est pas inépuisable. Un roman plutôt réussi sur un thème – la lente et inexorable montée de l’extrême droite en Europe, la difficulté de contrer la violence et la démagogie, et la démission de beaucoup de citoyens – d’actualité.

 

* Christoffer Carlsson, Nuit blanche à Stockholm (Den fallande detektiven, 2014), trad. Carine Bruy, Flammarion (Ombres noires), 2017

Mentor, menteur

En 2014, dans la petite ville fictive de Bruket, en Suède, le corps du policier Charles Levin est retrouvé, assassiné. Leo Junker, le connaissait bien, pour avoir travaillé avec lui quelques années auparavant. Mais Junker, héros des précédents volumes de Christoffer Carlsson (Le Lapin borgne, Le Syndrome du pire, Nuit blanche à Stockholm), ne garde pas que de bons souvenirs de son collègue, son « mentor », spécialiste des coups tordus. « J’ai beau avoir longtemps travaillé à ses côtés, d’abord à la brigade des crimes violents quand Levin y était commissaire puis aux affaires internes, je ne l’ai jamais connu. Je m’étais imaginé qu’il m’avait pris sous son aile. (…) J’avais confiance en lui. » Au terme d’une enquête qui lui vaudra quelques blessures, il découvrira que l’homme avait plus d’une facette. La série avait bien commencé, mais l’auteur semble là s’essouffler.

 

* Christoffer Carlsson, Mentor, menteur (Mästare, vaktäre, lögnare, vän, 2015), trad. Carine Bruy, J’ai lu, 2019

Opcop

Arne Dahl est le pseudonyme de Jan Arnald (né en 1963), critique polémiste et collaborateur de l’Académie suédoise, laquelle, rappelons-le, décerne chaque année le Prix Nobel de littérature.

Message personnel : une nouvelle « unité opérationnelle » est créée au sein d’Europol. Nommée Opcop, elle agit dans le plus grand secret. « …Notre unité doit tester les capacités opérationnelles d’une force de police internationale, dans la perspective de l’intégration formelle d’Europol au sein de l’EU. » Mais quand un cadavre est retrouvé à Londres avec un message visiblement destiné à ces policiers de choc, le malaise est palpable. Une trahison a-t-elle eu lieu ? Message personnel est un bon roman mais, comme Jusqu’au sommet de la montagne (titre précédent de Arne Dahl), incroyablement complexe. La Mafia italienne, les services secrets nord-Coréens, Scotland Yard, la Lettonie, les États-Unis (et notamment Barack Obama), sont partie prenante de cette enquête, tout de même menée en partie en Suède.

Si l’intrigue des romans de Arne Dahl est parfois bien tortueuses, quel plaisir de lecture, surtout face aux navets que, dans le genre policier, les éditeurs proposent si souvent. Des décors bien dessinés, des personnages dotés d’une véritable psychologie et d’une histoire qui leur est propre, une intrigue à rallonge… Prenons la place des morts, deuxième volet des enquêtes de l’équipe Opcop, ces policiers qui agissent à l’échelle européenne, respecte ce cahier des charges. De Stockholm à La Haye, de l’île de Capria, au large de la Toscane, en Sibérie, Arne Dahl nous entraîne ici dans une enquête aux limites du roman policier et de la politique fiction : quand des partisans du transhumanisme sont prêts à tout pour parvenir à leurs buts, autrement dit créer « le modèle du chef parfait (…), sorte de mélange de chef militaire et de chef d’entreprise » totalement dénué d’empathie. La créature aura le temps de commettre quelques meurtres avant d’échapper à ses géniteurs. Comme dans ses précédents volumes, Arne Dahl en profite pour nous offrir sa vision géopolitique du monde et laisser échapper sa colère face à la corruption et aux atteintes aux Droits de l’homme induites par le libéralisme. Le pouvoir sous ses différentes formes suscite ce manque d’empathie qui sera tant préjudiciable à l’homme, affirme-t-il ainsi par la voix de l’un de ses policiers, Arto Söderstedt, issu des rangs de l’extrême gauche : « Le manque d’empathie n’est pas cantonné au monde économique (…) : on le retrouve aussi à l’hôpital, dans les écoles, les services sociaux et les organisations humanitaires, l’Église et évidemment au sein de la police. Partout où la capacité à piétiner autrui peut remplir une fonction. » Les intrigues, chez Arne Dahl, sont toujours assez compliquées et peu vraisemblables, mais au moins ses personnages développent-ils tous de solides réflexions sur leur condition et le monde, d’une façon générale.

 

* Message personnel (Opcop 1) (Viskleken, 2011), trad. Rémi Cassaigne, Actes sud (Actes noirs), 2014

* Prenons la place des morts (Opcop 2) (Hela havet stormar, 2012), trad. Rémi Cassaigne, Actes sud (Actes noirs), 2017

Prenons la place des morts

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Si l’intrigue des romans de Arne Dahl est parfois bien tortueuses, quel plaisir de lecture, surtout face aux navets que, dans le genre policier, les éditeurs proposent si souvent. Des décors bien dessinés, des personnages dotés d’une véritable psychologie et d’une histoire qui leur est propre, une intrigue à rallonge… Prenons la place des morts, deuxième volet des enquêtes de l’équipe Opcop, ces policiers qui agissent à l’échelle européenne, respecte ce cahier des charges. De Stockholm à La Haye, de l’île de Capria, au large de la Toscane, en Sibérie, Arne Dahl nous entraîne ici dans une enquête aux limites du roman policier et de la politique fiction : quand des partisans du transhumanisme sont prêts à tout pour parvenir à leurs buts, autrement dit créer « le modèle du chef parfait (…), sorte de mélange de chef militaire et de chef d’entreprise » totalement dénué d’empathie. La créature aura le temps de commettre quelques meurtres avant d’échapper à ses géniteurs. Comme dans ses précédents volumes, Arne Dahl en profite pour nous offrir sa vision géopolitique du monde et laisser échapper sa colère face à la corruption et aux atteintes aux Droits de l’homme induites par le libéralisme. Le pouvoir sous ses différentes formes suscite ce manque d’empathie qui sera tant préjudiciable à l’homme, affirme-t-il ainsi par la voix de l’un de ses policiers, Arto Söderstedt, issu des rangs de l’extrême gauche : « Le manque d’empathie n’est pas cantonné au monde économique (…) : on le retrouve aussi à l’hôpital, dans les écoles, les services sociaux et les organisations humanitaires, l’Église et évidemment au sein de la police. Partout où la capacité à piétiner autrui peut remplir une fonction. » Les intrigues, chez Arne Dahl, sont toujours assez compliquées et peu vraisemblables, mais au moins ses personnages développent-ils tous de solides réflexions sur leur condition et le monde, d’une façon générale. De fait, du bon roman policier.

 

  • Arne Dahl, Prenons la place des morts (Opcop 2) (Hela havet stormar, 2012), trad. Rémi Cassaigne, Actes sud (Actes noirs), 2017

Jeu du loup (Opcop 3)

Dans Jeu du loup, troisième volet de la série Opcop, Paul Hjelm, Kerstin Holm et toute l’équipe de cette « unité secrète » opérant au sein d’Europol, enquêtent à La Haye et à Amsterdam, à Bruxelles et à Stockholm, sur des gangs qui seraient à la tête d’un vaste réseau de mendiants et, en parallèle, sur les menaces reçues par une commissaire européenne qui s’apprête à faire voter une loi sur les véhicules électriques. Comme toujours avec Arne Dahl, le récit policier laisse la place à d’intelligentes réflexions sur l’avenir de l’Europe, par exemple, ou sur la place de l’individu dans le monde contemporain. « Au sein de nos sociétés, il existe des groupes dont les valeurs sortent tout droit de ces années sombres (le Moyen Âge). Des mondes où ni la Renaissance ni les Lumières ne sont parvenues. » L’intrigue est dense et avance lentement. Loin du roman d’action, si ce n’est par moments, heureusement courts. La filiation avec le couple Sjöwall-Wahlöö, annoncée en 4e de couverture et revendiquée par Arne Dahl, par ailleurs, n’est pas sans fondement. Par la voix de tel ou tel personnage, les critiques à l’encontre d’une société privilégiant la consommation à outrance et l’arrivisme professionnel fusent. Les liens entre la droite et l’extrême droite (en l’occurrence, en France, « entre l’UMP et le FN ») sont mis en exergue, comme autant d’attaques contre la démocratie. « Partout, ces forces antidémocratiques qui se servaient de la démocratie pour l’abolir. » Aujourd’hui, en Europe, de la Turquie à la Hongrie, en passant par la Pologne ou l’Italie, la droite extrême et l’extrême droite attisent les sentiments les plus bas de la population pour asseoir leur pouvoir. « C’était une affaire infiniment complexe. Et remarquablement importante », observent les membres de l’OpCop au terme de leur mission. Mais peut-être cette complexité de l’intrigue, avec des ramifications dans toutes les régions du monde, atténue-t-elle un peu le message que l’auteur souhaite visiblement transmettre : « ...La politique peut être autre chose que l’administration du capital. » Ou encore : « À ce que la politique devrait être : créer une société la plus juste et durable possible. Rien de plus. » Quoi qu’il en soit, une excellente série qui pose des questions pertinentes par le biais de personnages tous bien décrits et intelligemment reliés les uns aux autres, dans une société contemporaine inquiétante.

 

* Arne Dahl, Jeu du loup (Opcop 3) (Blindbock, 2013), trad. Rémi Cassaigne, Actes sud (Actes noirs), 2019

Les Prédictions de Nostrabérus

Frédéric Dard (1921-2000), alias San Antonio, avait publié en 1974 ce volume prenant la Suède, « pays de baisanche à tout va » pour cadre : Les Prévisions de Nostradérus. Il est aujourd’hui réédité. Comme à son habitude, Frédéric Dard use et abuse d’humour, maniant l’orthographe suédoise à sa guise (des ï dans les noms propres, par exemple, tous assez peu locaux). À Stockholm, Monsieur San Antonio vient de recevoir pas moins que le Prix Nobel de littérature. Mais voilà qu’un certain Gustav Maeleström, membre de l’Académie, voudrait le charger d’une enquête. Quoi de plus naturel, pour un écrivain ? San Antonio refuse pourtant et fait la connaissance d’une dame. « Mon regard sagace et salace l’enlace sans qu’elle s’en lasse. » Quelque part entre Les Onze mille verges d’Apollinaire et Le Rire du sergent de Michel Sardou. Plutôt lourd, bien lourd !

 

* Frédéric Dard, San Antonio, Les Prévisions de Nostradérus, Fleuve noir, 1974

 

En eaux troubles

Comme d’autres éditeurs (pensons à Calmann-Lévy avec les romans de Camilla Grebe), celui-ci, Chambre noire, se croit obligé d’écrire le titre de ce roman de CS Duffy, En eaux trøubles, avec un « ø ». Une lettre qui n’existe pas dans l’alphabet suédois (l’action se passe en grande partie à Stockholm), mais danois ou norvégien. En Suède, ce serait le « ö », moins parlant esthétiquement peut-être... ! Et comme d’autres éditeurs également, celui-ci semble publier un jeu d’épreuves avant relecture, tant les coquilles abondent. Notons également qu’il n’y a aucune mention de titre original ni de traducteur, alors que CS Duffy est écossaise. Le roman aurait donc été écrit directement en français ? Dommage, ces remarques, car ce roman est alerte, les chapitres s’enchaînent bien. Ellie James, une « journaliste d’investigation » anglaise, tombe amoureuse de Johan, un beau et grand Suédois, qui l’emmène dans le quartier de Södermalm, à Stockholm. Elle découvre que des meurtres, ou des morts suspectes, s’accumulent autour de lui, à commencer par celui de Sanna, son ex. Tout naturellement, elle entame donc son enquête. Le roman s’achève de façon un peu abrupte, sans que l’on comprenne bien les motivation du coupable. À lire quand toute la pile d’ouvrages en attente aura été épuisée...

 

* CS Duffy, En eaux troubles (Meurtres à Stockholm, 1), Chambre noire, 2020