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On fait des miettes, on imite le coucou

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Lina Ekdahl (née en 1964, poète et auteure notamment de pièces de théâtre) et Emma Hanqvist (née en 1980 et illustratrice) livrent, avec On fait des miettes, on imite le coucou, un album dans lequel plusieurs enfants semblent prendre la parole de façon aussi décousue qu’attachante. Le monde des enfants est un immense terrain d’exploration où les rires et les jeux sont un but en soi. Les frontières n’existent pas : ni celles qui empêchent de passer d’un univers à un autre, ni celles, hélas bien réelles, qui compartimentent les humains. Ici, les enfants s’amusent d’elles. « On s’appelle Mats. Et Ellen. Yasmina et Josefin. José et Marianne. Linnea, Mira, Aloise, Olof et Karim. » Les familles comptent un papa. Ou un beau-papa. Et encore des « deuxièmes papas ». Une maman. Ou une belle-maman. Ou une « amoureuse de maman ». Et des tantes, des oncles. Tous nés ici. Ou ailleurs. Avec les cheveux blonds. Ou bruns. Ou de l’une des innombrables nuances de châtain. Avec la peau blanche ou jaune ou noire ou… Les familles d’aujourd’hui sont composites. On peut considérer, comme Lina Ekdahl et Emma Hanquist, que c’est une belle richesse. Que les enfants ont tout à gagner à regarder le monde avec des yeux… multiples. Un bel album, On fait des miettes, on imite le coucou, avec des illustrations très colorées ou parfois plus sombres, souvent réalistes et toujours poétiques. Comme ce monde qui s’ouvre, s’ouvre sur la diversité.

 

* Lina Ekdahl/Emma Hanquist, On fait des miettes, on imite le coucou(Vi smular vi härmar en gök, 2016), trad. Aude Pasquier, Cambourakis, 2016

La Petite éléphante qui veut s’endormir

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La littérature est un produit marketing comme un autre, cela ne date pas d’hier mais pour qui aime les livres, pour qui considère les livres avant tout comme des vecteurs de savoir, de culture, les opérations commerciales faites autour des livres ont toujours du mal à passer. D’abord autoédité, le premier titre ici proposé de Carl-Johan Forssén Ehrlin (né en 1978, « comportementaliste », « licencié en psychologie », « maître praticien certifié en programmation neurolinguistique », etc.), Le Lapin qui veut s’endormir, avait été annoncé à grand renfort de superlatifs : livre original, unique, etc., vendu à tant de milliers ou de millions d’exemplaires dans tant de pays. Le second, La Petite éléphante qui veut s’endormir, est carrément publié chez deux éditeurs différents en même temps, avec une tranche bleue en couverture pour l’un (Marabout), jaune pour l’autre (Gautier Languereau) et chacun sa typo sur cette couverture. La qualité littéraire, la singularité de ce livre justifie-t-elle cette démarche ? Carl-Johan Forssén Ehrlin prétend donner aux lecteurs, parents de jeunes enfants, une recette pour endormir facilement leur progéniture. Il y va de sa petite histoire d’éléphants, avec, conseille-t-il, lors de la lecture du soir à haute voix, des mots à prononcer d’une certaine façon et d’autres d’une autre façon. À la façon d’un mantra, le « conte », de fait, est truffé d’allusions au sommeil : « Si tu ressens l’envie de t’endormir, alors endors-toi là, tout de suite », « Tes paupières sont si lourdes, là, tout de suite », « La petite éléphante (…) se sent très fatiguée et peut juste se laisser aller et s’endormir là, tout de suite »… À la suite du texte, des conseils sont prodigués aux parents. Question : « J’ai suivi tous les conseils que vous m’avez donnés, mais mon enfant ne veut, malgré tout, pas écouter l’histoire. » Réponse : « Il peut être intéressant dans ce cas de lire l’autre livre que j’ai écrit. » Quel humour ! Le prochain ouvrage de Carl-Johan Forssén Ehrlin (oui, un troisième est annoncé !) sera peut-être livré avec un maillet, pour que le parent excédé assène un coup sur la tête de son bambin, au cas où celui-ci n’aurait toujours pas compris ! Pour ceux qui tiennent à ce que leur enfant s’endorme, certes, mais fasse aussi de beaux rêves, pourquoi ne pas plutôt conseiller la lecture d’un bon vieux classique, un conte d’Andersen, par exemple, voire un épisode des farces d’Emil ? Si l’enfant ne s’endort pas dans les trente secondes après son coucher, au moins, on peut l’espérer, n’aura-t-il pas envie de devenir plus tard un « coach, conférencier et formateur dans le domaine du leadership, la communication et le développement personnel », à l’instar de l’auteur de ces ouvrages, ennuyeux à mourir, pardon, à… dormir !

 

* Carl-Johan Forssén Ehrlin, La Petite éléphante qui veut s’endormir(Elefanten som så gärna ville somna, 2016), trad. Cedigheb Emami ; ill. Sydney Hanson, Marabout ou Gautier Languereau, 2016

Le Tracteur qui veut s’endormir

Après Le Lapin qui veut s’endormir et La Petite éléphante qui veut s’endormir, voici, toujours de Carl-Johan Forssén, Le Tracteur qui veut s’endormir. Un auteur qui veille sur... le sommeil des jeunes enfants. Le filon est bon à prendre, un titre, puis un deuxième, puis un troisième... À quand la marmotte ou le loir qui veut s’endormir ? Carl-Johan Forssén, lui, ne s’endort pas sur ses lauriers. « Quand la nuit tombe, Alex le tracteur veut s’endormir, mais il n’y arrive pas toujours. » Il faut lire et relire le livre, explique-t-il en annexe, et l’enfant finira bien par plonger dans le sommeil. Ce livre-ci ou un autre, pourrions-nous ajouter.

 

* Carl-Johan Forssén, Le Tracteur qui veut s’endormir (Traktorn som så gäna ville somna, 2017), ill. Syndney Hanson, adaptation Cedigheh Emami, Gautier-Languereau, 2019