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Qui se cache là-dessous ?

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Daniel Carlsten est un illustrateur suédois qui travaille pour de grandes marques sur la « création d’identités visuelles ». Avec Qui se cache là-dessous ?, il livre un premier album pour les tout petits. Sous des couvertures de différentes couleurs, des animaux se dissimulent presque entièrement. Vache, tigre, girafe, éléphant, lièvre, ours polaire... Le très jeune lecteur (à partir de quelques mois) saura-t-il les reconnaître, avant d’aller lui-même sous sa couette, trouver enfin le sommeil ? Une véritable arche de Noé est ici présentée ! Belle réussite esthétique.

* Daniel Carlsten, Qui se cache là-dessous, Hélium, 2022

 

De l’autre côté

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Bien que destinés à la jeunesse, a priori, et plus spécifiquement aux adolescents, les livres de Stefan Casta (né en 1949) sont heureusement dépourvus de ce caractère niais qui caractérise, avouons-le, une bonne part des titres ainsi classés. Son dernier roman, De l’autre côté, est tout bonnement un excellent roman qu’enfants et adultes peuvent lire, et non un énième épisode sentimental pour gamins paresseux intellectuellement, comme trop d’éditeurs en proposent. Il est vrai que les auteurs nordiques font rarement la distinction entre littérature adulte et littérature dite pour la jeunesse. « J’ai hâte de voir venir le jour où Jörgen et moi emménagerons et commencerons notre nouvelle vie », se réjouit Elina à l’issue de la visite d’une maison en pleine campagne que son père projette d’acheter. Vanessa, la compagne de Jörgen, qu’elle considérait comme sa mère, est morte récemment dans un accident de voiture. Le père, une sorte de grand gamin aux idées multiples et souvent loufoques, et son adolescente de fille tentent de repartir d’un bon pied. Jörgen a gagné le gros lot d’un jeu à gratter. Ils vont pouvoir s’installer dans cette maison un peu de guingois et pleine de mystères, à proximité du cimetière où Vanessa a été incinérée et d’une forêt peuplée d’oiseaux et au moins d’un renard et, malheureusement, aussi d’un chasseur hargneux. (Il n’est pas interdit de penser, pour ce dernier personnage, au Gustafsson de Sven Nordqvist dans Petsson chasse le renard). « J’espère vraiment qu’il n’arrivera pas à tuer le renard », se dit Elina, se souvenant que cet animal est indirectement la cause de l’accident de voiture dans lequel Vanessa est décédée. Jörgen s’est associé au patron d’une pizzéria et le succès des pizzas au poisson et aux crevettes et des soirées élection de la « Miss Poissone » ne l’empêchent pas d’avoir de nouvelles idées pour gagner de l’argent, comme de monter un élevage de « poules françaises » et de vendre des œufs bio. Dans cette maison, découvre Elina, vivait parfois Aron, un garçon presque de son âge. Ses parents habitaient là mais ils ont disparu de manière incompréhensible, dit-il. Depuis, il erre, ici ou bien dans la forêt, vivant de rapines et faisant la mendicité. Elina se croit d’abord amoureuse de lui avant de le considérer comme son frère. Tout va bien vite pour elle, mais la vie dans cette vieille maison lui convient. « « Je hais cette sale époque à laquelle je vis. Le côté superficiel, le laisser-aller, le stress absurde, la consommation, l’énorme quantité d’ordures, les produits jetables, le plastique qui finit dans les mers, dans les champs, dans notre nourriture. Je sais que je fais partie de cette société et que je ne suis pas meilleure qu’un autre. Mais je commence sérieusement à en avoir marre. » Un roman réaliste et néanmoins poétique, que livre là Stefan Casta, habitué à ce genre de prouesses, lui qui utilise souvent la nature comme décor. Le roman d’une famille recomposée, finalement, aux accents presque fantastiques, aussi, lorsqu’Elina laisse divaguer ses pensées. Le passage d’un monde à un autre, de l’enfance à l’âge adulte. À conseiller avec enthousiasme.

* Stefan Casta, De l’autre côté (På andra sidan Fågelsången, 2015), trad. Agneta Ségol, Thierry Magnier, 2017

Mary-Lou

« C’est une de ces soirées magiques... » Stefan Casta (né en 1949) a reçu en 2002 le prestigieux prix ALMA, qui est un peu le Nobel de la littérature jeunesse. Ce n’est que justice, car voilà un auteur qui ne bêtifie pas. Cf. Mary-Lou, par exemple, roman destiné aux ados. Dès les premières pages, il est question de livres, ceux qu’un jeune garçon, Adam, trimballe avec lui au sortir d’un cours de dessin, qui tombent par terre et qui lui permettent d’entrer en contact avec... Mary-Lou. Qu’il n’a pas vue ou quasiment depuis trois ans et qui est aujourd’hui assise dans un fauteuil roulant. « J’ai voulu t’appeler une quantité de fois. » Mais il ne l’a pas fait et possède ses raisons. N’a-t-elle pas tenté de se suicider, le laissant désespéré ? La revoir le bouleverse et il l’invite à venir dans la maison familiale sur l’île où il passe ses vacances. La jeune fille n’est d’abord pas facile, toujours à sembler faire la tête, puis se laisse gagner par sa douceur, sa patience. « Les fleurs sont les yeux de la terre », lui explique-t-il lorsqu’ils reviennent au bord de la mer, là où un moment d’intimité les avait autrefois réunis. Il lui avoue son intérêt pour l’œuvre de John Bauer, lui qui s’escrime à dessiner, elle lui dit qu’elle apprécie L’Enfant brûlé de Stig Dagerman. « « Je pourrais continuer à vivre comme ça. Je pourrais habiter ici pour toujours », finit-elle par lui confier encore. Pas vraiment le genre bouquin ado gnangnan, avec jeux vidéo et marques de vêtements à tire-larigot. Mary-Lou est un roman profond, subtil et tendre – du Stefan Casta.

 

* Stefan Casta, Mary-Lou (Fallet Mary-Lou, 1997), trad. Agneta Ségol & Marianne Ségol-Samoy, Thierry Magnier, 2012

Soul riders, Les Cavalières du destin

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Comme toujours, il est dommage qu’un livre soit traduit du suédois vers l’anglais puis de l’ anglais vers le français, comme celui-ci, Soul riders, Les Cavalières du destin. Est-il si compliqué de traduire du suédois directement en français ? La vie de Lise est bien triste : sa mère est morte il y a trois ans dans un accident de cheval et c’est le cœur gros qu’elle emménage avec son père sur l’île de Jorvik. Un lieu imaginaire et pourtant précisément situé : « Jorvik, située entre la Norvège, l’Islande et les îles Britanniques, dont elle faisait autrefois partie, est à la jonction de différents mondes. » Là se trouve le paradis des chevaux. Trois adolescentes d’une quinzaine d’années rejoignent Lise : Alex, Linda et Anne. « Ces jeunes filles druidesses sont élues pour le lien spécial qui les unit à leurs chevaux. » Leur destin va être chamboulé. Soul riders, Les Cavalières du destin de Helena Dahlgren (auteure d’ouvrages de fantasy destinés aux adolescents) constitue le premier volume d’une série consacrée au bien et au mal. Ce dernier, combattu par des cavalières désireuses de sauver le monde – rien moins ! « C’était donc ça, leur destin ? Ce serait toujours elles quatre contre le reste du monde ? »

* Helena Dahlgren, Soul riders, Les Cavalières du destin (Star Stable : Ödesryttarna 1, Jorvik Kallar, 2020), trad. du suédois vers l’anglais Agnes Bromé et de l’anglais vers le français Lucie Marcusse, PKJ (Pocket Jeunesse), 2023

Chaud

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« Je ne comprends pas pourquoi les gens parlent toujours de la première fois. Toute cette maladresse, cette nervosité, cette absence de grâce – qu’est-ce que c’est en comparaison avec ce que je vis maintenant ? » Ainsi s’interroge la narratrice de « Quarante minutes ou une putain d’éternité », de Lisa Bjärbo, la première nouvelle de ce recueil collectif, Chaud. Neuf auteurs suédois livrent ici leurs impressions, fictives ou réelles, des moments qui ont marqué leur adolescence. La sexualité est omniprésente, comme elle l’est à cet âge. Elle peut pourtant être simplement suggérée, comme dans le texte « La pose » de Jessica Schiefauer, quand un jeune mannequin se prend à rêver d’une aventure avec la peintre qui le fait poser. Mais la plupart des auteurs n’y vont pas par quatre chemins, ils appellent les choses par leur nom et, comme indiqué en quatrième de couverture, « certaines scènes explicites peuvent heurter la sensibilité des plus jeunes » – bien que « heurter » ne soit peut-être pas le mot le plus adéquat. Rien n’est glauque, cependant, et l’on se dit que les adolescents, auxquels sont destinés les ouvrages de cette collection, dénicheront là de bons modes d’emploi de la vie présente et à venir. Seuls les intégristes de toutes obédiences y trouveront à redire, à moins de comprendre enfin qu’un peu de sexe dans la vie, dès lors que librement consenti, ne nuit pas au bien-être.

* Åsa Anderberg Strollo, Gunnar Ardelius, Lisa Bjärbo, Inti Chavez Perez, Manne Forssberg, Jenny Jägerfeld, Sara Ohlsson, Ingrid Olsson, Jessica Schiefauer, Chaud (trad. Marianne Ségol-Samoy), Thierry Magnier (L’ardeur), 2021