U-V-W

Mademoiselle Julie

Adaptée de la pièce éponyme de Strindberg, Mademoiselle Julie, film de Liv Ullmann, en conserve la trame, mais prend l’Irlande pour cadre. Au XIXe siècle, toujours, et toujours dans un milieu très aisé ; du théâtre filmé, avec seulement trois personnages. Fille d’un baron, Mademoiselle Julie use de son charme pour séduire John, un valet, au risque de déstabiliser la société rigide de son époque. L’affrontement des classes sociales est au cœur de ce drame. Une adaptation réussie, servie par le jeu des acteurs.

 

* Liv Ullmann, Mademoiselle Julie (2014)

Le Lendemain

John, adolescent qui vient de purger une peine de prison, est de retour chez son père, agriculteur dans une petite commune de Suède. Renfermé, il essaie de reprendre pied, de continuer les cours. Mais on ne l’accepte pas. On ne sait d’abord pas de quel crime il s’est rendu coupable. Ses camarades ont peur de lui, certains le frappent ou tentent de l’humilier. Le Lendemain, du réalisateur Magnus von Horst, est un film qui soulève plus de questions qu’il n’apporte de réponses. La culpabilité, l’innocence, le bien et le mal : autant de valeurs interrogées ici. Filmé tout en nuances, tant dans l’esthétique que dans sa problématique, Le Lendemain est aussi servi par des acteurs qui n’en font jamais trop. Tout sonne juste et qu’importe si la fin est un peu abrupte.

* Magnus von Horn, Le Lendemain, Blaq out (2015)

À la recherche de Ingmar Bergman

Avec ce film, À la recherche de Ingmar Bergman, la réalisatrice Margarethe von Trotta (née en 1942, auteure de Les Années de plomb, Hannah Arendt, L’Honneur perdu de Katharina Blum, etc.) a tenu à rendre hommage au réalisateur suédois dont le centenaire de la naissance a été célébré en 2018. C’est un Bergman qui ne jure que par le cinéma, que l’on rencontre ici, au point qu’il en oublie ses propres enfants. Pas vraiment une surprise. Un Bergman contesté par d’autres cinéastes (on entend ici Ruben Östlund : en gros, il y avait soit Stockholm et Bergman, dit-il, soit Göteborg et Bo Widerberg ou Roy Andersson) et pourtant adulé tant par ses collègues jeunes ou moins jeunes (la Française Mia Hansen-Løve parle des fantômes présents sur l’île de Fårö où il résidait) que par les spectateurs et la critique. Au-delà de la « noirceur » qui lui a été reprochée, c’est de la « vérité » que Bergman a tenté de s’approcher, comme il le déclare lui-même. Constitué d’interviews de diverses personnes qui l’ont connu et d’extraits de ses films, ce documentaire met en avant la grande richesse de son œuvre, nous invitant à la redécouvrir à loisir.

 

* Margarethe von Trotta, À la recherche de Ingmar Bergman (2018), Epicentre Films (2019)

 

Le Libre penseur

Si la démarche du réalisateur Peter Watkins (né en 1935, en Grande-Bretagne) est aussi intéressante que les sujets qu’il traite, ne cachons pas qu’il faut s’armer de courage pour assister à l’un de ses films (La Commune de Paris, Les Gladiateurs, Edvard Munch, etc.). Pour preuve, par exemple, ce portrait de l’écrivain August Strindberg (1849-1912), intitulé Le Libre penseur. Après avoir été l’objet d’une commande du Ministère de la culture suédois, qui l’a ensuite refusée, cette biographie de Strindberg a relevé d’un projet pédagogique étalé sur deux années, en partenariat avec un lycée de Stockholm. Vingt-quatre lycéens ont ainsi participé aux différentes phases de réalisation du film : production, recherche documentaire, costumes, etc. « L’occasion pour Peter Watkins », nous indique la jaquette du DVD, « de faire un pas de plus dans le sens de la déconstruction du rapport hiérarchique entre un cinéaste et ses collaborateurs ». Alternant, au long de son film et sans trop s’en tenir à la chronologie, jeu d’acteur, fausses interviews, photographies et autres plans fixes aux décors minimalistes, Peter Watkins oscille constamment entre fiction et documentaire, reprochant par ailleurs à son sujet d’étude d’avoir agi de même dans ses livres. Dans quelle mesure le roman Le Fils de la servante, par exemple, est-il autobiographique ? Comme si rechercher la part de vérité dans un roman, celui-ci fût-il prétendument autobiographique, n’était pas voué, à un moment ou à un autre, à l’échec. En contant son enfance, l’écrivain la réinvente, ne serait-ce qu’en raison des années passées qui ont altéré ses souvenirs. Un artiste, pensons-nous, ne se juge pas à l’aune de la vérité mais, plutôt, de sa sincérité. Qu’un écrivain veuille leurrer ses lecteurs ne signifie pas qu’il tente de mentir et de les tromper. Simplement, qu’il a pour ambition de les emmener là où il le souhaite et de ne pas les abandonner en chemin. À partir d’une masse considérable de documents divers, Peter Watkins confronte ici passé et présent, plongeant l’écrivain dans son époque et soulignant ce que la période contemporaine (en l’occurrence, la deuxième moitié du XXe siècle) a de commun avec celle de l’auteur ou en quoi elle en diffère. Pourquoi pas ? Et sans doute Strindberg, avec son goût prononcé de la controverse, ne s’en serait-il pas offusqué.

 

* Peter Watkins, Le Libre penseur (Fritänkaren, 1994), Doriane films

L’Avant-scène cinéma, Joe Hill

Le numéro 674 (juin 2020) de la revue L’Avant-scène cinéma est consacré au film Joe Hill de Bo Widerberg. Sorti en 1971 et articulé autour du militant ouvrier d’origine suédoise Joe Hill, ce film fait partie, pour le cinéaste, d’une trilogie (avec Elvira Madigan, 1967, et Ådalen 31, 1969). Tourné aux États-Unis et en Suède, Joe Hill présente le mouvement des travailleurs précaires qui constitueront le syndicat IWW (Industrial Workers of the World), toujours actif aujourd’hui, et que les autorités réprimeront avec hargne. Né en 1879 à Gävle, Joseph Hillström, dit Joe Hill, sera accusé d’un vol avec assassinat et exécuté en 1915, en dépit de ses déclarations d’innocence. Il a depuis été réhabilité. Woody Guthrie, Bob Dylan, Joan Baez, et en France Fred Alpi, parmi d’autres chanteront ses textes et lui rendront hommage. Homme de gauche, Bo Widerberg trace un portrait nuancé, humain. « J’ai connu Joe par son testament, ses chansons et ses lettres », confiera-t-il à Bernard Cohn de la revue Positif en 1972, interview reproduite ici. Ce numéro de L’Avant-scène est foisonnant et constitue un excellent pendant au film. S’y expriment divers proches et collaborateurs de Widerberg : Jörgen Persson et Peter Davidsson (directeurs de la photographie pendant le tournage), Thommy Berggren (qui joue Joe Hill ainsi que d’autres personnages de la filmographie de Widerberg), le cinéaste Olivier Assayas, etc. L’historien du cinéma Gérard Camy parle, quant à lui, d’« une œuvre humaniste, engagée et lucide », la transposant dans son contexte et rappelant que Widerberg s’opposait à Ingmar Bergman, dont l’évolution « métaphysique » le heurtait. Bergman s’orientait de plus en plus vers un cinéma « vertical » (Dieu au sommet), quand Widerberg tenait à promouvoir un cinéma « horizontal » (hommes et femmes entre eux). En fait, les deux artistes ont été les deux grands cinéastes suédois de la deuxième moitié du XXe siècle, auteurs d’œuvres fort différentes, qui ravissent tous les amateurs de bon cinéma. Camille Sainson s’attarde sur la figure de Joe Hill, « fervent défenseur de l’émancipation de la classe ouvrière devenu martyr, symbole, héros populaire ». Gérard Camy mentionne encore les chansons de Joe Hill et leurs diverses adaptations, sans oublier de citer l’auteur Stephen King, qui baptisa son fils Joseph Hillstrom King – et ce dernier, à son tour écrivain, a pris comme nom de plume... Joe Hill. Enfin, la fiche technique du film permet de suivre le déroulé au plus près. Un tout remarquable. Tirons notre chapeau aux éditions Malavida, qui proposent aujourd’hui dix films de Bo Widerberg (Tom foot est annoncé pour avril 2021), et à L’Avant-scène cinéma de fournir une description aussi en profondeur de cet excellent film, Joe Hill et du personnage qui l’a inspiré.

 

* L’Avant-scène cinéma n°674, « Joe Hill », 2020

 

 

 

La Beauté des choses

Sorti en 1995, La Beauté des choses est le dernier film de Bo Widerberg. S’il prend la ville de Malmö pour cadre, en 1943, il aurait pu se passer ailleurs et à une autre époque, puisqu’il relate avant tout l’histoire d’amour entre Stig, un lycéen, et Viola, sa professeure de lettres. Le sujet n’est pas neuf mais Widerberg le traite à sa façon, c’est-à-dire avec sensibilité, n’hésitant pas à user d’humour lorsque la situation devient trop sombre. Représentant de profession, Frank, le mari de l’enseignante, est alcoolique. Lorsqu’il découvre la liaison, une relation d’amitié entre lui et Stig (joué par le propre fils du cinéaste) se noue, alors que Viola semble perdre la tête.

* Bo Widerberg, La Beauté des choses, 1995, Malavida

Joe Hill

Le personnage est connu, il a marqué l’histoire populaire des États-Unis. Militant ouvrier, né à Gävle, en Suède, en 1879, Joel Emmanuel Hägglund, dit Joseph Hillström, dit Joe Hill, a émigré en Amérique au début du XXe siècle avec son frère. Accusé d’un hold-up qui a mal tourné, et malgré ses dénégations, il est fusillé en 1915. Erreur judiciaire ? Ou plutôt crime des autorités soucieuses de se débarrasser d’un militant remuant, alors que le syndicalisme de l’IWW (Industrial Workers of the World) attirait de plus en plus de travailleurs. Quelques années plus tard, les deux Italiens Sacco et Vanzetti subiront un sort semblable. Ce film a été récompensé à Cannes en 1971. La maison de production Malavida le ressort dans une version « collector ». À voir et à revoir. Pour méditer, pour discuter. Pas sûr qu’au pays de l’oncle Trump beaucoup de choses aient vraiment changé...

 

* Bo Widerberg, Joe Hill (1971) (Malavida, 2020)

 

 

 

Amour 65

Amour 65 est l’un des films des débuts de la carrière de Bo Widerberg (1930-1997). « ...Un film étrange (…), expérimental, plus introspectif que les autres où Widerberg reste, comme toujours, un réalisateur très sensuel. C’est un peu comme une improvisation de jazz... », écrit Mårten Blomqvist, journaliste au Dagens Nyheter dans le livret qui accompagne le DVD. Dans le sud de la Suède, à Käseberga, à quelques kilomètres d’Ystad, un réalisateur qui pourrait être Bo Widerberg lui-même tente de trouver l’inspiration. « Je suis incapable de penser au film en ce moment », affirme le personnage principal, préférant jouer au cerf-volant et observer ses proches et les acteurs avec lesquels il travaille. « Amour 65 nous rappelle une époque où les films étaient vraiment pris au sérieux... », explique encore Mårten Blomqvist.

 

* Bo Widerberg, Amour 65 (Kärlek 65) (1965), Malavida

 

Le Quartier du corbeau

1936. Anders, dix-huit ans, vit à Malmö avec son père alcoolique et sa mère qui se tue au travail. Devenir écrivain, serait-ce pour lui une solution ? Et comment s’y atteler sans renier les siens ? Deuxième film de Bo Widerberg, Le Quartier du corbeau montre le monde ouvrier en Suède à la veille de la Deuxième Guerre mondiale, et alors que le nazisme triomphe en Allemagne. Le film (récompensé à Cannes en 1964) sonne juste, les traits des personnages ne sont pas forcés. Comme les autres films de Bo Widerberg : à voir et à revoir.

 

* Bo Widerberg, Le Quartier du corbeau (Kvarteret Korpen) (1964) (Malavida)

 

 

 

L’Homme de Majorque

Adapté d’un roman (La Fête du cochon) de Leif G. W. Persson (ancien policier reconverti dans la littérature), L’Homme de Majorque est un film signé Bo Widerberg (1930-1997). Appelés dans le bureau de poste principal de Stockholm après son braquage, deux policiers (Johansson et Jarnebring) de la brigade des mœurs décident d’enquêter, pas tout à fait officiellement. Ils découvrent que l’auteur du braquage est un vrai pro. Au point, qu’ils se mettent vite à suspecter quelqu’un de la « maison ». Mais ce quelqu’un semble être couvert par le ministre de la Justice. L’affaire, véridique, fit grand bruit en Suède et le film permit au cinéaste de relancer sa carrière. Toujours d’actualité, tant esthétiquement que sur le fond.

Signalons qu’une bonne part de l’excellente filmographie de Widerberg (Ådalen 31, Un Flic sur le toit, Elvira Madigan, Joe Hill, etc.), très grand cinéaste, est aujourd’hui disponible en DVD (Malavida).

* Bo Widerberg, L’Homme de Majorque, Malavida (1984)

Le Chemin du serpent

Quel film, Le Chemin du serpent, de Bo Widerberg ! Adapté du roman éponyme de Torgny Lindgren (1982, traduit en français par Elisabeth Backlund et publié chez Actes sud en 1985), ce film est fidèle au livre. Dans la Suède du XIXsiècle, quelque part dans la province du Västerbotten, un commerçant exige d’être payé « en nature » lorsque ses clients ne peuvent régler le « crédit » qu’il leur accorde. Dans la famille de Tea, le voici qui réclame d’abord la mère ; puis la fille, Eva ; puis la petite-fille, Tilda. Laquelle deviendra son héritière, par une sorte de justice d’outre-tombe. Quelle saloperie de bonhomme, contre lequel personne n’ose protester, sinon Johan/Jani, sporadiquement, avant de... se plier à l’usage ! Un très beau film, dans de très beaux décors et avec d’excellents acteurs. Bo Wideberg signe là l’une de ses plus grandes réalisations (avec Joe Hill et Ådalen 31).

* Bo Widerberg, Le Chemin du serpent (Ormens väg påhälleberget, 1986) (Malavida)