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Blowfly park

Que penser du premier film du réalisateur Jens Östberg (né en 1971), Blowfly park ? Tourné en grande partie en clair-obscur, il part d’une question (qu’est devenu Alex ?) et n’apporte que lentement des réponses. La scène finale peut en être une – ou pas. Il y a ici un scénario, mais plus encore la manière de filmer ce scénario. Un film policier, un thriller, Blowfly park ? Un film d’atmosphère, plutôt, tourné en hiver dans une petite ville industrielle suédoise. Âgés d’une trentaine d’années, Alex et Kristian sont amis. Mais Alex cherche la bagarre dès qu’il a un verre dans le nez. Un soir, il veut montrer à Kristian un terrier, dans une forêt, avec une famille de renards au complet à l’intérieur. Puis il disparaît. La caméra suit Kristian, personnage ambigu qui semble louper tout ce qu’il entreprend, notamment ses tentatives de ramener l’ordre autour de lui. Une esthétique troublante, dirions-nous – pour ce film réussi.

* Jens Östberg, Blowfly park (Flugparken, 2014), Outplay

Happy Sweden

Happy Sweden (2008), du cinéaste Ruben Östlund (né en 1974), est un long métrage constitué d’une suite de petites scènes avec des personnages récurrents. Toutes s’articulent autour de ce que nous pourrions nommer des manques d’égard envers autrui, des incivilités, des actes qui ne portent pas forcément à conséquence mais qui, accumulés, pourrissent la vie de ceux qui en sont victimes. Un projectile lancé sur une voiture qui passe, une dégradation dans un bus, une blague entre copains qui tourne quasiment au viol, une enseignante qui incrimine publiquement l’un de ses collègues pour prendre la défense d’un gamin tapageur… Ruben Östlund réussit le tour de force de lier entre elles ces scènes et, sans émettre de jugement, de laisser le spectateur seul avec la gorge nouée. (Notons qu’il récidivera avec cette façon de faire dans Play, 2011, et Snow therapy, 2014.) Intéressant.

* Ruben Östlund, Happy Sweden (2008), BAC films

The Square

Il est quelque peu étonnant que ce film de Ruben Östlund, The Square, ait été récompensé par la palme d’or à Cannes en 2017. Déroutant, il fait partie de ces œuvres qui ne peuvent guère susciter l’unanimité. Pour preuves, les réactions contrastées lors de sa sortie. « La palme au petit malin », annonce ainsi le critique cinéma de l’hebdomadaire Politis : « Tout dans la satire de l’art contemporain est ici usé jusqu’à la corde et d’une lourdeur affligeante. (…) Voilà du cinéma de petit malin n’ayant pas conscience de sa ringardise ni du mépris qu’il conçoit pour son spectateur. » Oh ! Peut-être faut-il rétorquer au critique que le fait de ne pas comprendre une œuvre n’autorise aucunement à l’éreinter ainsi. « Ringardise » ? « Mépris » ? Des mots fourre-tout, que chacun peut reprendre à sa guise en leur donnant le sens qu’il souhaite, et dont le seul but est de délégitimer la cible. Ouvrons plutôt les yeux. The Square met en scène le conservateur d’un grand musée d’art contemporain de Stockholm. L’action aurait pu prendre un autre cadre (il n’est pas interdit de penser à Pontus Hulten, à Beaubourg). Quand une exposition d’art plastique est programmée, une opération de promotion est organisée. « The Square est un sanctuaire où règnent confiance et altruisme En son sein, nous sommes tous égaux en droits et en devoirs. » Les grands idéaux ne pèsent pas grand chose face aux arguments des communicants et le conservateur se laisse peu à peu déstabiliser. Un clip est produit, qui provoque le scandale et qu’il n’assume pas ; il démissionne. Dans sa vie quotidienne d’homme à l’abri du besoin, les ennuis s’accumulent, consécutifs, pour la plupart, à sa volonté de bien faire. Ruben Östlund est-il de gauche ou de droite ? se sont interrogés des critiques. En vain, dans la mesure où l’on ne saurait mettre en doute la pertinence de ses questionnements (cf. notamment, outre ce film, Happy Sweden ou Snow therapy). The Square n’est pas à regarder avec cette aune. Il s’agit d’un film qui dérange, presque surréaliste dans ses outrances, à certains moments. Il s’agit aussi d’un film qui montre la superficialité de cet univers où l’art et l’argent se côtoient dangereusement. Une attaque contre la bourgeoisie, client attitré de cet art contemporain souvent vide de sens, même et surtout lorsqu’il prétend faire œuvre humaniste. Un film qui entend replacer la question de l’écoute, de la bienveillance, de l’entraide, au centre de nos préoccupations. Quand j’étais petit, raconte ainsi l’acteur principal à ses filles, mon père m’attachait une pancarte autour du cou et me laissait jouer seul dans les rues de Stockholm, sachant qu’il y aurait toujours quelqu’un pour me ramener à la maison. C’est inenvisageable aujourd’hui. Pourquoi ? Que s’est-il passé ? Qui porte la faute de cette régression sociale ? Sûrement pas le cinéaste.

 

* Ruben Östlund, The Square (2017), M6 video