Poésie

Retordre retordre les fibres du tissu ancestral

« Alors j’ai rencontré/les anthropologues/Ils ont raconté qui/je suis/Alors je/devrais le savoir... » La poésie n’a pas pour vocation de simplifier la complexité des choses. Seulement de l’exposer. De la donner à ressentir, enfin quand cela fonctionne. Ce que Risten Sokki (née en 1954), enseignante dans un lycée d’élevage de rennes à Kautokeino, parvient très bien à faire. Ses mots sont des pierres en terre same, ses textes des paysages à l’horizon jamais tout à fait fermé. Avancer dans ses pages, c’est passer le sommet d’une montagne ronde et découvrir un lac ou se retrouver nez à nez avec un troupeau de rennes. Le recueil Retordre retordre les fibres du tissu ancestral a été publié une première fois en 1996, en Norvège. Dans son avant-propos savant, Gunnar Palander le positionne dans son contexte. « À l’origine, il n’y avait pas de langues écrites, que des symboles comme on peut en trouver gravés sur les manches de couteaux ou sur le tambour du chaman. » Puis elles ont prospéré : plusieurs langues sames existent. « À l’heure actuelle, il arrive à des Sâmes norvégiens, suédois, finlandais, karéliens d’avoir à se servir de l’anglais pour se comprendre entre eux ! Car, du côté des langues, chacune s’est développée de manière indépendante. » C’est ainsi sa propre langue que Risten Sokki utilise, tout comme sa mère utilisait les tendons des rennes. Sa langue, pour remonter le passé, pour regarder le futur. « Condamnez-moi/à être enterré sous la croix/Peu importe/Je continuerai à nouer les fibres/à l’âme de l’écorce du bouleau/dans l’éboulis des rocailles ». Les Sâmes ont subi l’oppression des Scandinaves et des Russes. La révolte dite de Kautokeino est encore dans bien des mémoires. Risten Sokki est l’arrière-petite-fille de l’une des victimes. Le présent semble moins brutal, plus perfide. Un très, très beau recueil, trilingue (sâmi, norvégien et français), dont la lecture est indispensable aux amoureux de cette terre boréale. Avec cette vision spécifiquement same, non nationaliste, non agressive, en phase avec la vie sous toutes ses formes : « Humain d’abord/Sâme ensuite ».

 

* Risten Sokki, Retordre retordre les fibres du tissu ancestral (Bonán bonán soga suonaid, 1996), version en sâmi et norvégien Risten Sokki ; trad. française Per Sørensen ; avant-propos Gunnar Palander, Atelier de l’agneau/Toubab Kalo (Transfert), 2020