Romans policiers

Quand le roi meurt

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Plusieurs enquêtes, pour des meurtres commis à trente ans d’intervalles, se déroulent dans ce titre de Elina Backman (née en 1983), Quand le roi meurt. Donné comme son premier roman, celui-ci, bien construit, dense, mêle deux intrigues qui se rejoignent sur fond de pseudo mythologie nordique. Jan Leino, inspecteur de la police criminelle de Helsinki (« bien que le travail ait eu raison de son excès d’idéalisme, sa détermination à résoudre une affaire brûle encore en lui »), et son équipe, dont sa chère collègue Heidi Nurmi, s’interrogent sur le cadavre retrouvé sur l’île de Suomenlinna, celui d’un homme à la tête d’une agence publicitaire. « Jan continue de fixer le cadavre. Il ressemble toujours à ça au début d’une nouvelle enquête. Un air d’indifférence, comme s’il ne prêtait qu’une vague attention à ce qui l’entourait. » Dans le même temps, à Hartola (petite bourgade à deux cents kilomètres au nord de la capitale donnée ici pour être « l’unique royaume de Finlande »), Saana, web journaliste au chômage qui raffole de la série TV The Killing, « victime d’un remaniement du personnel » depuis peu, séjourne chez sa tante Inkeri et enquête sur la mort d’une adolescente noyée dans une rivière en 1989 et restée sans suite. Un accident ? Un suicide ? Un meurtre ? Pour Saana, peut-être y a-t-il là matière à la rédaction d’un roman policier, ce qui la sortirait de sa torpeur : « Quelque chose est sur le point de commencer. Quelque chose auquel se raccrocher. Au milieu de rien. La mort inexpliquée d’une jeune fille. » Puis le cadavre d’un banquier est découvert à Hartola, ses testicules sont, comme pour le mort précédent, marqués au fer rouge d’une couronne. Après bien des hésitations, Jan, au mitan de sa vie et toujours célibataire, rencontre Saana, également célibataire. Tout tombe à point, les violons jouent et le mélo se déverse. Une enquête somme toute très classique. « La révélation du crime finlandais » selon l’éditeur. Excessif ? Quand le roi meurt est un roman policier agréable à lire, avec des personnages toutefois assez peu crédibles dans leur fonction (des relations intimes avec de potentiels suspects ?). Un premier roman réussi, donc, mais pas transcendant.

* Elina Backman, Quand le roi meurt (Kun kuningas kuolee, 2020), trad. du finnois Mélanie Taquet), HarperCollins (Noir) 2024

Sans visage

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Né à Oulu en 1966, journaliste et rédacteur en chef du magazine Image plusieurs années de suite, Pekka Hiltunen assure à présent la direction de Mondo. Premier volet d’une trilogie prenant la ville de Londres pour cadre, Sans visage met en scène deux Finlandaises expatriées : Lia, maquettiste dans un magazine intitulé Level, et Mari, qui se sert de sa remarquable intelligence pour diriger le Studio, une entreprise politico-humanitaire secrète : « Son cerveau faisait des calculs de probabilité sur les gens tellement vite qu’elle avait le sentiment de savoir ce qu’ils avaient dans la tête. Ce qui était inhabituel, c’était simplement la quantité et l’intensité de l’analyse. » Se rendant à son travail, Lia assiste, parmi de nombreuses autres personnes, à la découverte d’un cadavre, qui semble avoir été écrasé au rouleau compresseur, dans le coffre d’une voiture. Ce qu’elle voit, ce qu’elle apprend ne la quitte plus et, mettant à profit le Studio, cette étrange société que Mari a créée, décide de faire la vérité sur ce meurtre particulièrement affreux. En parallèle, Mari met un terme à la carrière d’un leader d’extrême droite. Un roman bien mené qui annonce peut-être, comme l’ont souligné certains critiques, un déplacement de l’intrigue de la littérature policière nordique au-delà des frontières des seuls pays du Nord, et de fait un renouveau du genre. Le roman policier nordique deviendrait ainsi une sorte de label ou de marque, et peu importerait qu’il se déroule en Suède, en Norvège, en Islande, au Danemark ou, comme ici, en Finlande. Ne serait retenue que la nationalité des personnages principaux. Ou de l’auteur. Ou – moins encore ?

 

* Pekka Hiltunen, Sans visage (Vilpittömästi Sinun, 2011), trad. Taina Tervonen, Balland, 2013

Écran noir

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Écran noir de Pekka Hiltunen est à lire à la suite de Sans visage, publié en France en 2014. Le lecteur retrouve ici le Studio, cette structure créée à Londres par deux jeunes femmes d’origine finlandaise, Lia et Mari, cette dernière possédant « un don pour lire dans les pensées des autres ». Constitué d’un noyau de personnes de compétences diverses et qui se vouent une très grande confiance, le Studio enquête sur des affaires qui embarrassent la police. Comme cette série de meurtres d’homosexuels dans la capitale britannique : « il semble que la police occulte « le caractère homophobe de ces agressions ». Quel est le fou qui enlève ses victimes, les tue à coups de pied et envoie les films aux médias ? « Le profil du tueur commençait à se dessiner. C’était un homme blanc, âgé d’une cinquantaine d’années, en bonne forme physique, avec des connaissances en informatique et en montage de vidéos, sachant tirer, probablement aussi visiteur assidu de pages de fans de Queen. » C’est tout ? Ah, non ! « Il déteste les homos. » Sympathique ! De Londres à Zanzibar, l’enquête trace, par ailleurs, le portrait de Freddie Mercury, leader du groupe Queen et gay revendiqué, que l’assassin admire avec ambigüité. Comme pour nombre d’autres romans policiers, on peut regretter que l’auteur des crimes soit un malade mental, ce qui permet de ne donner que des explications très évasives sur ses motivations. Puisqu’il est fou, pourquoi s’étonner qu’il agisse ainsi ou ainsi, qu’il s’en prenne aux homosexuels, par exemple ? Nul besoin d’expliquer non plus d’où il tire son argent pour vivre et à Londres et à Zanzibar, et disposer de matériel informatique sophistiqué. Quant à ses mobiles profonds comme dirait un psychiatre, on les ignore et ce n’est pas le plus important car Écran noir est avant tout un roman d’action.

 

* Pekka Hiltunen, Écran noir (Sysipimeä, 2012), trad. Taina Tervonen, Gallimard (Série noire), 2017

 

Si vulnérable

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Lauri Aleksis Kivi est « journaliste des affaires criminelles » à Helsinki, au Suomen sanomat, le second plus important quotidien de Finlande. Doté d’un appareil auditif suite aux coups que son père lui a naguère portés, il entend ce qu’il veut bien entendre, et ne perd pas une miette de ce qui se passe autour de lui. Quand il apprend qu’un policier a tué sa femme, leurs deux enfants et se serait suicidé ensuite, le doute le saisit. « ...Un policier respecté ne peut pas commettre un tel acte. Un homme qui a consacré toute sa vie à la loi, à la justice et au maintien de l’ordre ne se suicide pas après avoir tué femme et enfants. Le coupable est-il donc quelqu’un d’autre ? » Les réponses du chef de la police à ses questions sont évasives et Lauri Kivi vaque à d’autres articles, avant de se retrouver à enquêter sur des meurtres du même tonneau qui finissent par le mettre en cause, lui. Mais si ce n’est toi, serait-ce ton frère ? Les coups portés aux jeunes enfants par leurs parents laissent-ils des traces prégnantes à l’âge adulte ? Simo Hiltunen (né en 1977, reporter) signe avec Si vulnérable un roman noir, plus que policier, assez déroutant avec ce personnage central, Lauri Kivi, qui pourrait être le coupable. Un livre de bonne qualité, avec un tueur en série dont les motifs sont méticuleusement expliqués.


 

* Simo Hiltunen, Si vulnérable(Lampaan vaatteissa, 2015), trad. Anne Colin du Terrail, Fleuve (Noir), 2018


 

Une Soirée de toute cruauté

« Mikko, c’est le genre d’hommes que les autres essaient de truander », songe Robert, dont ce Mikko veut faire sa victime : en dépit d’une amitié longue de vingt années, « ...j’étais obligé de tuer Robert ». Mikko est un journaliste d’investigation d’une rigueur de caractère déconcertante, même pour Veera, son épouse. « ...L’homme le plus intelligent que je connaissais, (…) diaboliquement rusé », se dit encore Robert, qui, lui, est un banquier plus soucieux d’enrichissement que d’éthique. Avec Elise, sa nouvelle jeune compagne, il reçoit chez lui le couple Mikko-Veera. Tout pourrait se passer pour le mieux, autour d’un bon repas et de quelques verres ? Pas sûr, car les griefs des uns contre les autres sont multiples et vont trouver à éclater. L’écriture de ce roman rebondit d’une anecdote à la suivante, toutes concernant uniquement les quatre personnages. L’humour n’est pas absent : « Quand il a bu trois décilitres d’alcool blanc à 38%, en slip et inspiré, le Finlandais commence à parler de la vie. Les barrières rhétoriques se renversent, les mots forment des propositions principales énoncées lentement, où ils ont plus d’ampleur que de mesure. » Avec Une Soirée de toute cruauté, Karo Hämäläinen (né en 1976, journaliste économique pendant quinze ans, avant d’occuper le poste de directeur de Parnasso, célèbre magazine littéraire finlandais) signe un roman dans la veine de ceux d’Agatha Christie. Bien éloigné du roman policier nordique contemporain à proprement parler. Mais... Pourquoi pas ?

 

* Karo Hämäläinen, Une Soirée de toute cruauté (Ilta on julma, 2013), trad. Sébastien Cagnoli, Actes sud (Actes noirs), 2019

 

Les Engloutis

Archéologue américain, Tommaso Mac Donnell est appelé en Finlande par Mika, un ami de plongée, qu’il n’a pas vu depuis vingt ans. Celui-ci est aujourd’hui le maire de Kortka, petite ville sur les rives de la Baltique. Il a l’intention d’établir un parc d’éoliennes off-shore et requiert l’expertise « neutre » de Tommaso. « ...Je suis là pour bosser et plonger, pas pour faire le clown devant les médias et servir d’agent de propagande. » Mais rapidement, ce dernier comprend que le projet compte ses partisans et ses opposants. Qui plus est, proche de la Russie, la région abrite des activités qui n’ont pas toutes l’air officielles. Quand des faits graves sont commis, les écologistes sont les premiers suspects. Le personnage de Tommaso Mac Donnell état déjà présent dans L’Ordre du monde, précédent roman de l’auteur (né en 1968, Denis Lépée a travaillé tant pour le... RPR, que pour Véolia ou EDF, dans sa branche nucléaire...). Entre agents du FSB russe, écologistes forcément peu crédibles et notables prêts à détourner les fonds publics, ce roman se lit vite.

 

* Denis Lépée, Les Engloutis, L’Observatoire, 2018

 

 

 

La Maison de vos rêves

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Martti Linna (né en 1966) avait déjà publié Le Royaume des perches, un roman à peine policier – à peine, en ce sens qu’il accordait une grande place au décor (une Finlande comme il se doit boisée et baignée de lacs) et que ses personnages, qui se répondaient avec un ton très juste les uns les autres, finissaient par évacuer l’intrigue policière. On retrouve dans La Maison de vos rêves le capitaine Reijo Sudenmaa. Un patron d’entreprise (Haliwood, une boîte de construction de maisons en rondins « disposés à la verticale ») est victime de tentatives d’assassinat. Qui lui en veut ? Son frère, qui est aussi son associé ? Un employé ? Un client ? Sudenmaa enquête à son rythme, obnubilée, lui le père célibataire, par sa fille de quinze ans dont le comportement ne cesse de le décontenancer. Le fonctionnement de l’entreprise (qui peut parfois rappeler IKEA) est censé protéger le bien-être de ses employés mais pourquoi, lors d’un sondage mené parmi ceux-ci, une réponse vient-elle contredire cette ambition ? « Le village-témoin de Haliwood avait été établi dans une vaste pinède au bord d’un lac. » Tout est-il paisible ? La Maison de vos rêves est un roman plutôt original, notamment parce qu’il aborde le monde du travail, en l’occurrence l’ébénisterie et l’ameublement, avec un luxe de détails, mais les réflexions de Sudenmaa et des divers autres personnages nous semblent un peu lourdes. Les comparaisons femme/jument, les jugements de valeur sur le fait qu’une femme ait deux amants… Hum !

 

* Martti Linna, La Maison de vos rêves (Kuolleita unelmia, 2010), trad. Paula et Christian Nabais, Gaïa (Polar), 2016

 

Ce matin, un lapin...

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Henri Pekka Olavi Koskinen travaille dans une boîte d’assurances, comme mathématicien. Mais il ne fait plus l’affaire, il est dépassé. « Tu n’aimes pas les teams, la transparence, les échanges, tu n’aimes pas qu’on communique, qu’on se livre, qu’on écoute ses émotions... Tu refuses de t’abandonner, de te laisser porter par l’instant et par les autres », lui reproche son chef de service, avant de lui signifier son licenciement. Henri n’a pas le temps de s’en remettre, qu’il apprend que son frère Juhani est mort, lui léguant sa fortune, laquelle consiste en... un parc d’attractions (et non un « parc d’aventure » !) appelé MonTonSonFun. Et, comme Henri va vite s’en apercevoir, « servir la clientèle est extrêmement difficile. À cause des clients. » D’autant plus lorsque des mafieux lui rendent visite dans l’espoir de récupérer une dette de jeu colossale de son défunt frère. Les finances du parc semblent saines mais de grosses sommes manquent. Henri parviendra-t-il à viabiliser l’affaire ? Son bras droit Laura Helanto ne le laisse pas insensible lorsqu’elle lui montre ses œuvres picturales. « ...L’entendre me fait aussitôt me sentir différent, sans que je sois capable de dire en quoi ». Sorti directement en poche dans sa traduction française, ce roman de Antti Tuomainen, Ce matin, un lapin..., se lit d’un bout à l’autre avec un certain plaisir, l’humour n’en est pas absent. Le personnage principal, Henri, répète combien il est un homme d’ordre : « ...Je tiens à ce que tout soit planifié, calculé et convenu avec la plus grande précision ». Ses efforts vont cependant vite être contrariés. Usant d’un vocabulaire emprunté à son ancien chef, adepte du « discours creux » en vogue aujourd’hui dans les entreprises du secteur privé comme du secteur public, il s’applique à expliquer à l’un de ses employés soucieux de monter en grade qu’une formation managériale est nécessaire : « Je ne comprends pas moi-même ce que je raconte. » Avant de saisir qu’il fabrique ainsi « un monstre » et de se livrer à des activités machiavéliques. Tout le livre est sur ce ton, et arrache bien des sourires.

* Antti Tuomainen, Ce matin, un lapin... (Jäniskerroin, 2020), trad. du finnois Anne Colin du Terrail, Fleuve, 2022

Aussi noir que ton mensonge

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Il y aurait, au nord de la Finlande, une mine de nickel dangereuse pour la santé des habitants de la région. Un gros complexe minier, exploité par une société privée, avec l’aval des autorités publiques, trop heureuses de voir des emplois créés dans cette zone reculée. C’est tout au moins le message que reçoit Janne Vuori, journaliste au Quotidien de Helsinki (« …dernier journal de taille moyenne du pays (…), en grande difficulté »), dans les premières pages de ce nouveau roman de Antti Tuomainen (né en 1971), Aussi noir que ton mensonge. Le lendemain, le voici sur place qui frappe à la porte de l’entreprise. Tout est transparent, lui déclare-t-on, mais pourtant, on l’éconduit poliment. Antti Tuomainen nous a déjà habitués à des romans noirs, plus que policiers, ou à des romans d’anticipation. Ici, il y a un peu de tout cela, sur un fond d’écologie. Et Janne Vuori met le doigt sur une affaire qui risque de lui coûter cher, notamment de détruire sa vie de famille, lui qui n’a pas vu son père, un « tueur à gages », depuis trente ans – son âge. Au point que mieux vaut peut-être, pour lui, demander à son directeur un changement de poste. « Tu veux vraiment y renoncer ? Tu as des informations internes, un indic, tu es allé sur place, tu as les notes de Lehtinen et je ne sais quoi encore », lui répond ce dernier, dubitatif. Mais Janne Vuori revient sur sa décision et l’enquête repart avec les quelques morts nécessaires et les déboires écologico-financiers de rigueur. Il y a pire, comme lecture, ou, à l’évidence, il y a mieux.

 

* Antti Tuomainen, Aussi noir que ton mensonge (Kaivos, 2015), trad. Alexandre André, Fleuve (Noir), 2016

Sombre est mon cœur

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Le premier roman de Antti Tuomainen (né en 1971) traduit en français, La Dernière pluie, transportait le lecteur dans une Finlande apocalyptique, en proie à de très importants changements climatiques et à la guerre civile. Sombre est mon cœur est de facture plus classique et s’inscrit clairement dans le genre roman policier – ou roman noir, plus précisément, puisque la police en est relativement absente. Le narrateur, un certain Aleksi Kivi (« Comme l’écrivain ? Non, lui, c’était Aleksis Kivi. Ma mère était une fervente lectrice et une amoureuse du finnois »), entend faire la lumière sur la disparition de sa mère vingt ans plus tôt, lorsqu’il n’avait que treize ans. La police n’a jamais suivi sérieusement aucune piste et n’a pas fait le lien avec un autre meurtre similaire. Car sa mère a été assassinée, Aleksi en est convaincu, et pour découvrir la vérité, ce charpentier qui a été bouquiniste (« Ça n’a pas du tout marché. Je vendais les livres à bas prix, je voulais que les gens les lisent. ») se fait embaucher dans un manoir de la côte balte, dont le propriétaire correspond au portrait qu’il a du meurtrier. Mais qui va observer l’autre ? Qui va manipuler l’autre ? Antti Tuomainen s’attache, pour faire avancer son intrigue, à la psychologie des personnages. Avec raison : son roman, de facture certes très classique, est convaincant.

 

* Antti Tuomainen, Sombre est mon cœur (Synkkä niin kuin sydämeni, 2013), trad. Alexandre André, Fleuve noir, 2015

Derniers mètres jusqu’au cimetière

À la tête d’une société de commercialisation d’un champignon, à destination de la clientèle japonaise qui en est friande, Jaakko Mikael Kaunismaa n’a vraiment pas de chance. Son médecin lui apprend qu’il souffre d’un empoissonnement généralisé et que sa mort est imminente. Quand il rentre chez lui, c’est pour découvrir sa femme en pleins ébats avec leur livreur. Puis il s’aperçoit qu’une société concurrente tenue par des lascars peu sympathiques observe de près ses activités. Ni une, ni deux, il élimine l’un de ses adversaires, avant de se demander si sa femme n’aurait pas cherché à le tuer, lui. Sa vie, ou la fin de sa vie plutôt, demande à être réaménagée du tout au tout. « Ne le répète à personne, mais le jour où j’ai rompu est un des plus beaux de ma vie. (…) Je me suis sentie si libre, si heureuse (…). J’avais envie d’organiser une fête », lui confie Sanni, l’une de ses employées, à laquelle il révèle ses malheurs. Derniers mètres jusqu’au cimetière est un roman original dont le suspens tient jusqu’aux dernières pages. Antti Tuomainen avait déjà publié en français La Dernière pluie et Sombre est mon cœur, deux romans noirs plus que policiers. Celui-ci (avec un seul policier, Mikko Tikkanen, peu présent) atteste une nouvelle fois de son talent à relater une histoire relativement crédible, en dehors des sentiers battus.

 

* Antti Tuomainen, Derniers mètres jusqu’au cimetière (Mies joka kuoli, 2016), trad. Alexandre André, Fleuve, 2019

Sous le soleil éternel de Finlande

Avec Sous le soleil éternel de Finlande, Anti Tuomainen signe un polar reposant. Serait-ce un compliment ? Un meurtre est commis dans une vieille bâtisse, qu’un promoteur voudrait racheter à sa propriétaire pour agrandir le complexe balnéaire qu’il est en train de construire : Palm Beach Finland. Une plage présentée comme la plus chaude, car la plus au sud, du pays. Deux voyous qu’il a chargé de l’effrayer en sont les coupables. « C’était un accident. Un fâcheux hasard. Dû à un malentendu, à un déséquilibre entre la poussée et la traction. Voilà pourquoi la nuque s’était fracturée avec un son rappelant une planche sèche qui se brisait. » Dès la première page, le lecteur est avisé. L’enquête démarre lorsque Jan Nyman est envoyé par la police d’Helsinki pour enquêter. Voilà qu’il s’éprend de la propriétaire, pourtant suspecte elle aussi, et en oublie un peu son travail. Que les branquignols se hâtent de lui rappeler. Pour passer le temps, ce roman.

 

* Antti Tuomainen, Sous le soleil éternel de Finlande (Palm Beach Finland, 2017), trad. « revue et corrigée » par Céline Maurice, Fleuve (Noir), 2020

 

La Revanche

La revanche

À Pori, son service terminée, l’inspecteur Henrik Oksman a pour habitude de se travestir en femme et d’aller en boîte de nuit. Il lui arrive de rentrer avec un compagnon de fortune. Mais voilà que l’établissement dans lequel il est allé, est la cible peu après son départ d’un attentat. Lequel est revendiqué sur les réseaux sociaux par « l’Envoyé », un individu lourdement armé et hostile à la communauté homo et trans : « Cette nuit, le sang des blasphémateurs rougira les rues. » Qui en veut à ce point aux homosexuels ? Flic d’une force assez exceptionnelle (il est vrai qu’il s’entraîne beaucoup), Henrik Oksman ne sait comment réagir. « Il était policier et se trouvait sur les lieux une heure à peine avant l’explosion, il aurait évidemment dû en informer immédiatement tout le monde et donner son témoignage sur les événements de la soirée. C’était son devoir. En cachant sa présence, il se rendait coupable de faute professionnelle. » L’enquête commence, sous le contrôle des spécialistes de l’antiterrorisme. Oksman se sent de plus en plus mal dans sa peau. « Il savait qu’il aurait dû avouer qu’il était à la discothèque le soir de l’attentat, et ce sentiment lui pesait, comme s’il avait porté un sac de pierres sur le dos. » Les réactions ne se font pas attendre, une manifestation est organisée contre l’intolérance de l’extrême droite. Des violences surviennent. L’Église est considérée comme complice. « Le véritable Jésus n’était pas une poule mouillée pissant dans sa culotte, mais un activiste radical, un anarchiste enragé, une irrésistible force de la nature qui ne s’aplatissait devant rien ni personne. Il ne léchait pas le cul des prêtres et des aristocrates et se moquait bien de sa propre sécurité. C’était un rebelle qui transgressait toutes les normes de la société... » Discours volontairement provocateur du pasteur Mikael Fredriksson devant la foule des manifestants. Mais s’il mentionne par ailleurs les positions sectaires des diverses religions par rapport à l’homosexualité, pas un mot sur l’islamisme de type fasciste si actif de nos jours (même en 2019, date de l’action de ce roman). Vision un petit peu tronquée, donc, mais qui n’enlève rien à la pertinence de cette mise en parallèle extrémisme religieux/extrémisme politique. Le décalage entre une certaine partie de la population, pour laquelle l’homosexualité ne pose aucun problème, et une autre, rétrograde et s’en référant à des textes dits sacrés, est bien posé. La violence qui découle de l’intolérance dans le roman ne manque pas d’évoquer des faits contemporains. Un seul reproche : comme dans tant de polars, le coupable est un psychopathe marqué par son enfance... Arttu Tuominen avait publié Le Serment en 2021, un bon roman signalé sur ce site. La Revanche est du même tonneau, très intelligemment ancré dans la réalité d’aujourd’hui, avec des personnages bien décrits, originaux et profondément humains et, ce qui ne gâche rien, une chouette conclusion juste avant l’épilogue.

* Arttu Tuominen, La Revanche (Hyvitys, 2020), trad. du finnois Anne Colin du Terrail, La Martinière (Onyx), 2023

Le Serment

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« ...Il soutiendrait Antti jusqu’au bout. Il le lui devait. » Voilà ce dont Jari Paloviita est convaincu : sa fidélité à une amitié d’enfance. Ce n’est pas n’importe quelle amitié, car bardée d’épreuves, celle-ci. Trois personnages qui se connaissaient à l’âge de douze ou treize ans, se perdent de vue jusqu’au drame qui les réunit, une trentaine d’années plus tard. Nouveau venu sur la scène littéraire, Arttu Tuominen (né en 1981, ingénieur environnemental et écrivain) signe là un livre éblouissant. Faire éprouver de l’empathie pour deux individus censés être très différents, Jari Paloviita, un policier, et Antti Johannes Mielonen, un SDF auteur d’un crime à l’encontre d’un salopard, Rami Nieminen,, c’est ce à quoi il se livre dans ce roman, Le Serment. Si le lecteur tient à aller jusqu’au terme de l’intrigue, ce n’est pas sans avoir le cœur retourné à certains moments car les affres qui atteignent les deux camarades sont quelquefois éreintantes. Tant les trois personnages principaux que les personnages secondaires sont contraints de côtoyer des êtres malfaisants, violents, qui leur détruisent la vie. Le Serment relate aussi le manque de courage d’un jeune garçon, comment le lui reprocher, et son rachat à l’âge adulte. Il n’est pas interdit, tout au moins dans la première partie de ce livre, de penser aux romans du Norvégien Jørn Lier Horst. Une propension similaire à placer les personnages dans une nature dont le rôle est primordial (les scènes de pêche au bord de la rivière, le puits et la mort de la jeune sœur handicapée de Jari, le gel..., sans oublier les deux lettres dans une bouteille dissimulée près d’un rocher), qui les emporte – ici, la région de Pori et de l’Ostrobothnie. Le Serment est un grand livre récompensé par différents prix dans les pays nordiques. Un roman policier (« ...Rappelez-vous que vous êtes des flics et pas des bibliothécaires en train de trier des polars ! »), mais aussi une réflexion sur l’indéfectibilité de l’amitié et, accessoirement, sur la culpabilité : Jari ne remet-il pas en cause son existence présente pour respecter un « serment » ? « Il se peut très bien qu’on ne puisse établir la culpabilité de personne », déclare-t-il à ses collègues, sceptiques, afin de couvrir son ancien ami. En refermant l’ouvrage, le lecteur ne peut s’empêcher de pousser un ouf ! de soulagement. Tout aurait pu être encore pire.

* Arttu Tuominen, Le Serment (Verivelka, 2019), trad. Anne Colin du Terrail, La Martinière (Onyx), 2021