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Le Parc à chiens

Le parc a chiens

« Je ne voulais pas avoir le destin de la fille qui poussait sa bicyclette, par tous les temps, devant la maison de ma babouchka. » La jeune Olenka n’entend pas demeurer en Ukraine, elle est prête à tout pour échapper à sa condition. Quand elle apprend qu’un concours de mannequins a lieu à Paris, elle décide de s’y rendre. Quelques années plus tard. 2016. Olenka vit aujourd’hui sous un faux nom à Helsinki, comme aide-ménagère. Un jour, dans un « parc à chiens » où elle se rend pour observer un couple et ses jeunes enfants, elle retrouve Daria, une femme qu’elle a connue en Ukraine plusieurs années auparavant. Olenka officiait alors dans une agence chargée de placer des escort-girls auprès de clients occidentaux ; elle s’occupait aussi des couples désireux d’adopter de jeunes enfants et trouvait des femmes prêtes à « donner (leurs) ovocytes ». Ce sont deux mondes parallèles et amenés de temps à autre à se rencontrer, que présente là Sofi Oksanen, comme elle s’y était déjà exercée dans plusieurs de ses titres précédents (Les Vaches de Staline, Quand les colombes disparurent). L’Est et l’Ouest, après la chute du Mur. Ou la misère et l’aisance, l’inquiétude constante et la sérénité. Des longueurs, des redites, on s’y perd un peu. Les allers et retours dans le passé mettent en perspective sa situation présente. Que sera-t-elle prête à accomplir pour conserver la vie qui est devenue la sienne ?

* Sofi Oksanen, Le Parc à chiens (Koirapuisto, 2019), trad. Sébastien Cagnoli, Stock (La Cosmopolite), 2021

 

Norma

De certains auteurs, on peut lire toute l’œuvre et s’en trouver satisfait, mais d’autres, on prendra le temps d’effectuer un tri. C’est ce que nous pensons de Sofi Oksanen. Autant nous avions apprécié Purge ou Les Vaches de Staline, romans dans lesquels l’auteure revenait sur le passé de la Finlande et de l’Estonie et, au-delà, de la Russie-URSS et de l’Europe, autant Baby Jane nous a laissé sceptique. Idem pour Norma. L’action se situe en Finlande, aujourd’hui. Et débute par un enterrement, celui d’Anita Ross. La mère de Norma se serait jetée sous une rame de métro à Helsinski. Norma n’est pas convaincue de cette version. Sa mère, qui travaillait dans un salon de coiffure et était appréciée par ses collègues, n’avait jamais évoqué sa fin de vie volontaire et prématurée. Elle va donc se renseigner : « le plus urgent était désormais de comprendre dans quoi sa mère l’avait entraînée ». Et aller de surprise en surprise. Sans, nous semble-t-il, réussir à entraîner le lecteur.

 

* Sofi Oksanen, Norma (Norma, 2015), trad. Sébastien Cagnoli, Stock (La Cosmopolite), 2017

La Faim blanche

Dire que La Faim blanche, du Finlandais Aki Ollikainen (né en 1973), est un roman qui offre plusieurs niveaux de lecture, est le premier compliment que l’on puisse faire à ce texte. L’Histoire, on le sait, a été très sévère avec la Finlande, et pas seulement au cours du XXe siècle. 1867 : une terrible famine frappe le pays. Marja voit son mari mourir. De faim, de faiblesse, de misère. Comme tant d’autres « mendiants » ou « gens errants », elle espère trouver un travail à Saint-Pétersbourg, la ville du tsar (la Finlande est alors un duché russe). Elle abandonne leur ferme et se met en route, accompagnée de ses deux enfants. Bientôt, sa fille meurt à son tour, d’épuisement, de dénutrition. La Faim blanche relate ce parcours. En dépit du sujet, l’écriture est magnifique, le récit est court (150 pages) et pourtant le lecteur suit pas à pas Marja, respire avec elle, souffre avec elle. Il y a donc plusieurs lectures possibles, notamment celle qui actualiserait ce périple et le mettrait en parallèle avec l’exode des migrants venus chercher en Europe une terre promise. « Au bout de cette route qu’on fait ensemble c’est la fosse commune qui nous attend. » Il y a aussi, étrangement peut-être, une grande beauté poétique qui se dégage de ce livre. Nous songeons par moments à Birgitta Trotzig, avec ses personnages qui pataugent dans la boue de Scanie, plus qu’à Knut Hamsun – même si le litre évoque évidemment le premier roman de l’écrivain norvégien. Deux volets dans La Faim blanche : l’un autour de Marja, le prolétariat assassiné, peut-on dire, et l’autre, d’un sénateur, la belle société de l’époque ; les va-nu-pieds, littéralement, et les nantis. « Les patrons, en tout cas, ils ont plus de chair que nous sur les os, fait remarquer Marja. » Si les deux classes sociales s’affrontent, elles sont liées, cependant, inexorablement, dans cette Finlande encore essentiellement dépendante des conditions naturelles et soumise, politiquement, à l’autorité russe. La Faim blanche résonne comme un miserere sur cette immensité boréale, une fin du monde qui ne serait en réalité que le prélude d’un âge nouveau.

 

* Aki Ollikainen, La Faim blanche (Nälkävuosi, 2012), trad. Claire Saint-Germain, Héloïse d’Ormesson, 2016

Pastorale

Avec La Faim blanche, Aki Ollikainen avait livré un récit bouleversant sur un épisode de famine en Finlande, lorsque le pays appartenait à la Russie. Son écriture est toujours aussi riche, aussi belle dans Pastorale que publient les éditions Héloïse d’Ormesson. C’est ici tout un monde qu’il met en scène, une ruralité finlandaise qui n’est jamais loin des contes de Topelius, bien que Ollikainen s’en tienne à la stricte réalité : « ...Les êtres humains sont des créatures trop compliquées pour jouir de la simplicité », observe-t-il toutefois. La vie de sa communauté se teinte d’une poésie hors du temps, et pourtant les éléments pour inscrire le texte dans son époque ne manquent pas, mêlant humains, animaux et plantes dans un foisonnement incessant – celui de son style. Un très beau récit.

 

* Aki Ollikainen, Pastorale (Pastoraali, 2018), trad. Claire Saint-Germain, Héloïse d’Ormesson, 202

Le Dentier du maréchal, madame Volotinen et autres curiosités

Les romans de Arto Paasilinna, à l’humour usant de grosses ficelles, nous laissent souvent sceptiques. Celui-ci, Le Dentier du maréchal, madame Volotinen et autres curiosités, n’échappe pas à la règle et pourtant, avouons notre plaisir à sa lecture. Constitué plus de saynètes mises bout à bout que d’une intrigue à proprement parler, il nous présente deux personnages hauts en couleurs, comme toujours chez le père du Lièvre de Vatanen : Volomari Volotinen, courtier dans une boîte d’assurances, et Laura Loponen, boulangère, son épouse de vingt ans plus âgée. Ensemble, ils collectionnent les vieux objets dénichés lors des expertises de Volomari ou des héritages, comme cette chapka de Lénine récupérée par le grand-père de Laura, cheminot qui aurait aidé le leader communiste à se réfugier en Finlande en juillet 1917. On voit ainsi le couple acquérir, légalement ou moins légalement, ces objets qui constitueront leur collection hétéroclite, un véritable cabinet des horreurs – dont une guillotine, française il va de soi, un pressoir hongrois, une planche funéraire lapone, les « noix » du pape Innocent III ou… le dentier du maréchal Mannerheim, héros finlandais s’il en fut des dernières guerres d’indépendance. « Volomari Volotinen était conscient de tenir au creux de sa main un inestimable trésor historique. » Tout semble véridique, tout semble faux chez Paasilinna, les situations les plus loufoques s’accumulent et à un moment ou à un autre, avouons-le, nous voilà bien obligé de sourire.

 

* Arto Paasilinna, Le Dentier du maréchal, madame Volotinen et autres curiosités (Volomari Volotisen ensimmäinen vaimo ynnä muuta vanhaa tavaraa, 1994), trad. Anne Colin du Terrail, Denoël (& D’ailleurs), 2016

Un Éléphant, ça danse énormément

Emilia est une jeune éléphante qui travaille sous les ordres de Lucia dans un cirque, en Finlande. Quand les animaux sauvages deviennent interdits de représentation, sa dompteuse l’emmène avec elle dans un périple en URSS. Car l’action de ce roman de Arto Paasilinna, Un Éléphant, ça danse énormément, commence peu avant la chute du mur de Berlin. Lucia rencontre Igor, avec lequel elle se marie. Igor apprend à Emilia quelques numéros. « Avec les danses cosaques à son répertoire, le succès d’Emilia alla croissant. Les gens se pressaient souvent par centaines à ses représentations et dans de grandes villes comme Irkoutsk, par exemple, elles rassemblaient plus de deux mille spectateurs payants. C’était de la folie. Souvent, le public se mettait lui aussi à danser et les soirées se terminaient en extravagantes fêtes populaire. » Le mal du pays gagne Lucia, qui retourne en Finlande. Igor, d’un commun accord avec Lucia, la déclare décédée et reste en URSS. Que faire d’Emilia ? L’expédier en Afrique du Sud ? Comme toujours avec Arto Paasilinna, les aventures rocambolesques se succèdent et le lecteur finit par sourire devant l’une ou l’autre, aussi invraisemblable soit-elle. Car, comme à son habitude, l’écrivain publie là plus un conte ou une fable qu’un roman (puisque « les éléphants ne volent que dans les contes »), un conte ou une fable bon enfant dont on se demande, le livre refermé, quelle leçon en tirer.

 

* Arto Paasilinna, Un Éléphant, ça danse énormément (Suomalainen kärsäkirja, 2005), trad. Anne Colin du Terrail, Denoël (& D’ailleurs), 2018

La Douce empoisonneuse

Le nom d’Arto Paasilinna est associé à l’humour, quelquefois un peu tarte à la crème, mais, dans La Douce empoisonneuse, l’humour est là très noir et très efficace. Âgée de soixante-dix huit ans, Linnea Ravaska est la veuve d’un colonel héros des guerres passées. Bon cœur, elle prend soin depuis toujours de son neveu, Kauko Nyyssönen, une trentaine d’années, mais aujourd’hui celui-ci entend la détrousser. En compagnie de deux acolytes, il débarque ainsi chez celle qui est sa seconde mère, dans une petite commune au nord d’Helsinki, lui extorque de l’argent, l’humilie et la contraint à signer un testament en sa faveur. La police se déclare débordée et ne vient en aide à la vieille femme qu’en rechignant, quand les malfrats ne sont plus là. « D’immenses talents se gaspillaient dans cet État policier du simple fait de circonstances défavorables », songe ce Kauko Nyyssönen, « des individus supérieurement intelligents étaient exclus de la société pour la seule raison qu’ils refusaient de se plier au joug esclavagiste de lois et de règlements mesquins. » Linnea décide d’agir par ses propres moyens. Elle va se suicider et pour cela, fabrique un poison très violent. Mais, retournement de situation, c’est le trio qui va en être victime ! Comme toujours chez Arto Paasilinna, les incidents comiques se succèdent et ici, le pathétique affleure sans cesse, tant ces malfrats sont lamentable et tant Linnea, secondée par son ami médecin Jaakko Kivistö, fait preuve, presque malgré elle, de courage et d’ingéniosité. À mourir... de rire. Sans doute l’un des meilleurs romans de Paasilinna.

 

* Arto Paasilinna, La Douce empoisonneuse(Suloinen Myrkynkeittäjä, 1988), trad. Anne Colin du Terrail, Denoël, 2001

Un Homme heureux

L’ingénieur Akselin Jaatinen est chargé de reconstruire un pont à Kuusmäki, sur une rivière nommée... la Tuerie, à l’endroit précis où de violents combats ont naguère opposé Rouges et Blancs. Il entreprend les travaux pour le mieux, avec une petite équipe d’hommes recrutés sur place. Mais les notables ne voient pas d’un bon œil les relations cordiales qu’il noue avec ses ouvriers (ne va-t-il pas jusqu’à construire un monument en hommage aux Rouges, en plein centre de la commune ?) et lui mettent des bâtons dans les roues. « Il ne leur en faut pas beaucoup, ils détestent de toute façon fondamentalement tous les nouveaux venus. » Plus malin qu’eux, généreux et doté d’un esprit subversif lorsque nécessaire, il saura heureusement renverser la situation et atteindre ses objectifs, tant au travail qu’en amour. « ...Cet homme est vraiment diabolique. » Signé Arto Paasilinna, Un Homme heureux est ce qu’on appelle un bon roman : de l’entrain, de l’humour, de l’intelligence... Que l’auteur, dans son épilogue, nous présente, comble de l’humour, comme inspiré de la vie d’un homme qui a vraiment existé. Allons !

 

* Arto Paasilinna, Un Homme heureux(Onnellinen mies, 1976), trad. Anne Colin du Terrail, Denoël (& d’ailleurs), 2005

Adam & Eve

Aadam Rymättylä possède un atelier d’entretien de batteries automobiles. Esprit curieux, il tente depuis longtemps d’inventer une batterie enfin fonctionnelle. Celles qui existent aujourd’hui sont en effet trop lourdes, trop volumineuses, n’ont qu’une charge d’énergie trop faible et sont longues à recharger. Pas demain la veille que les automobiles rouleront à l’électricité. Qui cherche trouve – il finit par produire une batterie de faible dimension, pas plus grande qu’une plaque de chocolat, et très puissante. Eeva Kontupohja, une avocate, se joint à lui pour monter une société et... c’est parti pour se retrouver à la tête de l’une des plus grosses fortunes du monde. Avec un redoutable ennemi, le lobby du pétrole, qui n’entend pas se laisser déposséder : « Parlons franchement. Nous voyageons (…) à travers le monde afin d’observer et de freiner les progrès de l’électrochimie. Nous formons un cercle amical informel, devenu au fil du temps une sorte de confrérie secrète. (…) C’est en partie grâce à nous que l’humanité consomme plus de pétrole que jamais. » Paru, en Finlande, en 1993 – en pleine crise –, Adam & Eve est un roman étonnamment actuel, voire futuriste car ce type de batterie n’existe toujours pas. Ou pas officiellement, pas pour tout un chacun. Ce n’est toutefois pas le meilleur des Paasilinna. Comme si l’auteur était passé un peu à côté du sujet – l’écologie ou pas l’écologie, la fortune, pour quoi faire... ? Même la fin laisse sur sa faim.

* Arto Paasilinna, Adam & Eve (Aatami ja Eeva, 1993), trad. Anne Colin du Terrail, Denoël (& D’ailleurs), 2019