Histoire

Mannerheim le fondateur

Mannerheim le fondateur

Personnage complexe, Carl Gustaf Emil Mannerheim (1867-1951), ce grand héros de la Finlande moderne. Aujourd’hui, l’Ukrainien Volodymyr Zelensky n’est pas sans présenter des similitudes avec lui. Après avoir fait ses classes durant sa jeunesse dans la Russie impériale, comme Zelinsky, lui, dans l’URSS finissante, Mannerheim s’engagea pour son pays d’origine lorsque les circonstances l’exigèrent. Dans Mannerheim le fondateur, l’historien spécialiste de la Réforme catholique Jean-Paul Besse (né en 1948) trace son portrait en remontant assez loin dans sa généalogie. Il lui faut en effet donner à penser que le destin de ce soldat d’exception n’est pas le fruit du hasard. Certains individus sont faits pour mourir sur les champs de batailles et d’autres, pour diriger les batailles. La vision de l’auteur est lourde et contestable et nuit à la lecture de l’ouvrage. Sa manière de compiler les événements date, l’histoire exposée ici est celle des « grands » de ce monde, souvent des têtes couronnées, dirigeant des peuples serviles. C’est dommage, mais à force de recherches et de précisions, l’auteur parvient tout de même à restituer la vie d’aventurier de Mannerheim, « survivant de la vieille aristocratie », « touriste suédois » un temps espion en Chine au service de la Russie et protégé du tsar Nicolas II. Il montre comment, dès 1917, Mannerheim cesse d’être un « collaborateur de la russification » pour prendre la tête de la résistance finlandaise. Rouges et blancs s’affrontent et, par patriotisme face à l’internationalisme, le militaire participe à mâter la révolution qui s’annonce. « Hostile aux rhéteurs provocants de la gauche », écrit Jean-Paul Besse, Mannerheim « n’était pas davantage favorable aux réactionnaires de l’Union du Peuple russe. Libéralisant sans être démocrate, conservateur sans être obtus, il déplorait le jusqu’au-boutisme des deux ailes extrêmes de l’aigle bicéphale. » Préférant le statut de soldat à celui d’homme politique, il y a du de Gaulle dans la figure de Manneirheim, dans celui qu’il devint pour son pays. « Foncièrement antinazi », mais « antisémite de préjugé » tout en défendant, face aux nazis, les Juifs de Finlande, ancré à droite mais soucieux avant tout de l’unité nationale et de la souveraineté de la Finlande, Manneirheim n’était pas favorable à une alliance avec Hitler. Mais la guerre d’Hiver, puis celle de Continuation, l’y contraignirent « pour se dégager de l’étreinte soviétique ». La paix avec l’URSS signifia la « finlandisation » : « la Finlande ne serait (…) pas un pays satellite comme ceux d’Europe centrale et orientale du 'bloc soviétique', mais perdrait sa liberté en politique étrangère et subirait le contrôle vigilant de Moscou. » Situation qui durera jusqu’en 1991. Héros national, Mannerheim est aujourd’hui une figure consensuelle en Finlande.

* Jean-Paul Besse, Mannerheim le fondateur, Via Romana, 2024

Histoire de la Finlande

Histoire de la finlande 1

La Finlande n’a pas été épargnée par les assaillants au cours de son histoire. Ce n’est pas une révélation, mais la lecture du livre de Bernard Le Calloc’h, Histoire de la Finlande (réédité, augmenté, après une première publication en 2010), l’atteste. Au long de son histoire, le pays a vu le passage et l’installation de troupes ennemies diverses (suédoises, russes, allemandes, etc.), sort réservé aux « pays tampons » et périphériques. Sa langue a longtemps été ignorée. Après six siècles sous domination suédoise, la Finlande est devenue Grand-duché russe et les tsars (Alexandre I, puis Alexandre II et Alexandre III) ont d’abord marqué quelque bienveillance pour ce pays plus organisé et plus riche que la Russie. Mais Nicolas II, le dernier des tsars, décida, lui, de russifier le pays et donc, de réprimer les velléités nationalistes. La Révolution soviétique entraîne indirectement l’indépendance de la Finlande : « ...la Finlande est, au moment où elle accède à l’indépendance, l’un des pays les plus évolués et les plus progressistes du monde ». Mais le statut est vite remis en cause par Staline ; débute alors la guerre d’Hiver. Lorsque éclate la Deuxième Guerre mondiale, la Finlande est contrainte de s’allier à l’Allemagne nazie pour ne pas tomber une nouvelle fois et peut-être définitivement sous le joug soviétique. « Malgré le rejet des propositions d’alliance sous prétexte de neutralité, la Finlande est entraînée sur une pente qui va la conduite de nouveau à la guerre. » Ce sera la guerre dite de Continuation. Spécialiste des peuples finno-ougriens, ancien professeur à Gödöllo (Hongrie), Bernard Le Calloc’h (né en 1925) nous offre dans cet ouvrage une étude synthétique (rehaussée de cartes, d’un index et d’un glossaire, d’une liste des présidents de la République...) sur le passé d’un pays aujourd’hui intégré à l’Europe, mais, comme les Pays baltes et dans une moindre mesure, toujours menacé par son voisin oriental. « En ce début de XXIsiècle, les perspectives de la Finlande, devenue en moins d’un siècle l’une des nations les plus développées et démocratiques du globe, restent néanmoins incertaines. » Regrettons juste, dans cette Histoire de la Finlande qui court jusqu’à 2017, la présentation très succincte de la littérature d’aujourd’hui (Tove Jansson, par exemple, n’est citée qu’une fois, alors que, avec les histoires de la famille Moomin, elle a grandement contribué à la connaissance des lettres finlandaises dans le monde ; pas un mot sur Arto Paasilinna, pourtant suivi par de nombreux lecteurs ; rien sur Matti Yrjänä Joensuu, sur Leena Lander, sur Mika Waltari, etc.), de la musique contemporaine (avec un label, Finlandia, de réputation internationale) ou du cinéma (Aki Kaurismäki n’apparaît pas). En dépit de cette réserve, un ouvrage aisément lisible et, à vrai dire, indispensable.
 

* Bernard Le Calloc’h, Histoire de la Finlande, Armeline/Yoran, 2018

 

Revue Questions internationales n°84

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La revue Questions internationales (dont le dossier principal et conséquent est « Cuba après Fidel »), éditée par la Documentation française, consacre un article à « la Finlande sur la scène internationale : du neutralisme en héritage au multilatéralisme en action ». Alors que la Finlande fête le centenaire de son indépendance, les tiraillements avec la Russie voisine ne s’estompent pas. Du sortir de la Deuxième Guerre mondiale à l’éclatement du Bloc de l’Est, le neutralisme a été une obligation politique pour le pays, au point qu’on parlait de « finlandisation » pour signifier le non-engagement en faveur d’un camp ou d’un autre – ou plus exactement une sorte d’allégeance, sur le terrain diplomatique, plus ou moins contraignante à la puissance militaire soviétique. Depuis 1989, si bien des choses ont changé, les agissements du voisin demeurent préoccupants. Suède et Norvège, cette dernière sous l’œil de l’OTAN, réagissent en réinvestissant leur secteur militaire. Du fait de son histoire, de ses relations économiques et de sa longue frontière commune avec la Russie, la Finlande (qui n’adhère pas à l’OTAN sans écarter, selon Timo Soini, ministre des Affaires étrangères, « l’option d’une adhésion le cas échéant ») dispose de moins de latitude et sa volonté « de s’inscrire sur la scène internationale au moyen d’une diplomatie multilatérale ouverte et dynamique au service de la paix » n’est guère aisée à mettre en œuvre. L’article d’Antoine Beausoleil (étudiant en master 2 de droit, mention « Relations internationales » à l’université Paris II Panthéon-Assas) fait efficacement le point sur la position de la Finlande aujourd’hui dans un contexte géographique et politique très troublé. Il souligne que la Finlande a « indéniablement réussi à préserver son indépendance et son modèle démocratique nordique tout en menant une politique étrangère active sur la scène internationale ».

 

* Revue Questions internationales n°84, Antoine Beausoleil, « La Finlande sur la scène internationale », La Documentation française, 2017