G-H
Les Rois d’Islande
« …Quand le sens de l’humour se perd, tout devient dérisoire. » Ainsi commence, ou presque, le roman de Einar Már Guðmundsson, Les Rois d’Islande. Né en 1954, récompensé à diverses reprises, l’auteur n’est pas un inconnu en France, les éditions Gaïa avaient déjà publié trois excellents titres de lui : Les Chevaliers de l’escalier rond, Les Anges de l’univers et Le Testament des gouttes de pluie. Ce nouveau roman, Les Rois d’Islande, ne décevra pas ceux qui apprécient le monde singulier de cet écrivain. Il prend à présent pour cadre le « gros village maritime » de Tangavík, au sud-ouest de l’île, et nous conte la saga de la famille Knudsen, armateurs et pêcheurs pour la plupart mais… pas seulement. Il y a ainsi « Magni Knudsen, qui était le frère d’Ástvaldur Knudsen, père d’Arnfinnur et d’Ásthildur Knudsen, mère de Jakob. Magni était le cadet, il mourut assez jeune. Reynir Árnason, père de Jakob Knudsen, disparut de Tangavík sans que personne ne sache jamais ce qu’il était devenu. Ásthildur se maria avec Magnús Bjarnason, dit Mangi le Riche… » Etc. ! Mieux vaut suivre, dans ce roman où les personnages, à la fois les plus anodins et les plus extravagants, apparaissent les uns après les autres et nouent entre eux à peu près toutes les relations possibles et imaginables. La multitude de noms propres ne doit pas décourager le lecteur, car en dépit de cette diversité, celui-ci se laisse très facilement embarquer dans cette société cocasse et plutôt bon enfant où chacun s’accommode à sa façon des contraintes légales. « En bon Islandais, les Knudsen font remonter leurs origines aux rois et aux personnages des anciennes sagas, dans lesquelles chacun est roi en son royaume. » Il s’agit-là d’un roman farfelu et ébouriffant, s’il faut à tout prix tenter de le résumer.
* Einar Már Guðmundsson, Les Rois d’Islande (Ílenskir kóngar, 2012), trad. Éric Boury, Zulma, 2018
Un Été norvégien

« ...Cet été-là, l’amour était partout. C’était un nuage blanc dans le ciel limpide, un oiseau en plein vol, un train filant à toute vitesse, il était dans tout ce que mes yeux voyaient. » Le narrateur de ce roman signé Einar Már Guðmundsson, Un Été norvégien, est un jeune homme nommé Haraldur Markús Ólafsson, surnommé Halli. Son ami Jonni et lui gagnent la Norvège et arpentent les rues d’Oslo en quête d’un emploi. Objectif ? Gagner assez d’argent pour se rendre ensuite à Rome et peut-être « jusqu’en Inde ». « On disait (…) de notre génération, née au milieu des années 50, que nous étions trop jeunes pour être hippies et trop âgés pour être punks. En réalité, nous nous sommes appropriés les deux, l’esprit hippie et le point de vue punk, nous étions engagés, formés aux luttes issues de l’anarchisme... » Un Été norvégien est un récit, plus qu’un roman, qui retrace les efforts des deux jeunes hommes pour... intégrer l’époque, pourrait-on dire, celle de la Beat generation. Ils cherchent du travail, en trouvent et notamment à la rénovation de la ligne de chemin de fer entre Oslo et Bergen, fréquentent à l’occasion les cercles anarchistes. Les noms d’écrivains et d’artistes, nordiques ou autres, abondent, de Solstad à Hamsun, de Malraux à Dylan, de Hemingway à García Márquez, comme autant d’exemples à suivre ou, au moins, dont s’inspirer. Un Été norvégien s’attache à relater l’itinéraire à la fois prolétarien, artistique et intellectuel des deux amis. Le climat de ces années-là est bien restitué, les enjeux idéologiques sont mis en évidence, bien que de façon un peu trop superficielle peut-être tant les saisir tous est difficile. Un parcours initiatique, en quelque sorte, puisque le personnage principal a pour ambition, à l’instar de nombreux autres jeunes Islandais, de devenir écrivain. « Je lui ai raconté nos aventures à la recherche d’un emploi. Je lui ai parlé du chantier dans les montagnes, du Journal de la rue, des anarchistes norvégiens, des poèmes que j’étais en train d’écrire et d’Inga que j’avais rencontrée à Oslo. » Un très beau récit empreint de nostalgie et drapé dans une époque, kes années 1970, qui n’avait pas encore banni les déclinaisons de l’utopie.
* Einar Már Guðmundsson, Un Été norvégien (Passamyndir, 2017), trad. Éric Boury, Zulma, 2020
La Dernière déclaration d’amour
Dernière déclaration d’amour ? Avant la prochaine, se dit le lecteur de ce roman de Dagur Hjartarson (né en 1986), La Dernière déclaration d’amour. Le narrateur (l’auteur ?) est un jeune étudiant qui vit à Reykjavík au moment où la Banque centrale connaît son fiasco historique. Un jour, près de chez lui, son chemin croise celui de Kristín, étudiante en droit, et c’est le début d’une histoire d’amour. « ...Chaque instant n’était que nouveauté ; nous étions convaincus de vivre dans une parfaite autonomie, sans comptes à rendre, indépendamment de notre passé, de notre environnement. La recette du bonheur. Presque tout nous rendait heureux. » Mais Trausti, le meilleur ami du narrateur, ne partage pas cet enthousiasme et l’encourage, en faisant un buste à son effigie, à combattre l’ex-Premier ministre et directeur de la Banque centrale, David Oddsson, coupable selon lui de la frénésie capitaliste qui affecte le pays. D’ailleurs le narrateur, dont on ne saura jamais le nom, et ce David Oddsson se ressemblent beaucoup. Duquel des deux Kristín est-elle réellement amoureuse ? Avec son retournement final, ce roman ne manque pas d’humour, il se lit facilement. Pas sûr, pourtant, que le lecteur s’en souvienne longtemps. « - Tu as déjà vu autant de mouches ? me demanda Kristín en les éloignant d’un geste de la main. - Ce ne sont pas des mouches, répondis-je. Ce sont des points à la fin des poèmes que je vais composer pour toi. »
* Dagur Hjartason, La Dernière déclaration d’amour (Síðasta ástarjátningin, 2016), trad. Jean-Christophe Salaün, La Peuplade (Roman), 2019