Romans, littérature

Les Contes d’ailleurs : Terres du Nord

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Comme l’indique le titre de ce recueil de contes, « Terres du Nord », ce sont bien des contes collectés dans tout le nord de la planète, et pas seulement dans les Pays Nordiques, que l’on trouve ici. Marilyn Plénard a déjà adapté et publié plusieurs volumes de contes aux éditions Flies France (Histoires de chats, Histoires de chiens, Histoires des quatre saisons, Histoires d’animaux sauvages, etc.). Dans ce volume, Les Contes d’ailleurs, elle nous en propose de Norvège, de Finlande, du Danemark, de Suède, mais aussi des îles Orcades, du Labrador, d’Estonie ou de l’île de Sakhaline. Tous sont très courts et, comme toujours, dépositaires d’une morale ou d’une sentence destinée à faire réfléchir l’auditeur ou le lecteur. L’idée que les êtres humains et les animaux doivent se partager le monde revient souvent. Notons que l’on y apprend également comment les moustiques se sont installés en Laponie, au désespoir des individus qui y séjournent mais pour le plus grand bonheur de l’araignée qui « tisse des toiles, et des toiles, et des toiles… »

 

* Marilyn Plénard, Les Contes d’ailleurs : Terres du Nord, À vol d’oiseaux, 2016

Ni terre ni mer

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Quelque part entre La Société des jeunes pianistes du Norvégien Ketil Björnstad et Cantique pour la fin du voyage de son compatriote Erik Fosnes Hansen (qui relatait le naufrage du Titanic), voici Ni terre ni mer, roman qui se passe surtout en Suède, de l’Allemande Anne von Canal. Consacré en partie au naufrage de L’Estonia le 28 septembre 1994 (852 morts entre Tallinn et Stockholm), plus grande catastrophe maritime européenne de l’après-guerre, Ni terre ni mer suit le parcours de Laurits Simonsen, issu de la bourgeoisie de Stockholm, marqué par son sceau « à peine visible mais indélébile », et musicien de talent un peu malgré lui. D’abord médecin, ou plus exactement gynécologue, sur les recommandations de son père qui brise ses espoirs en l’obligeant à conclure un pacte : il obtient son examen de musique du premier coup ou bien.... Laurits se range, ne maudit pas ses parents mais au contraire finit par se sentir très bien avec eux. Au moins, il ne manque de rien : une femme qu’il aime, une fillette charmante, un boulot qui paie correctement… « Il était arrivé, il était heureux. » Comme quoi, dit son parrain pour l’anniversaire des dix ans de mariage de Laurits, « il vaut la peine d’entretenir nos vieilles valeurs ». Mais ce discours réveille un passé qui n’est pas éteint, une vocation qu’il a tenté de renier et qui est toujours là. Laurits comprend qu’il a été trompé, trahi, il bifurque, part en Estonie avec son épouse et leur fille, pays d’origine de ses beaux-parents, s’installe à Tallinn. Puis… voilà L’Estonia. Le drame. Retour à la musique, une très triste musique. Un roman subtil, soudainement fort, comme un coup de poing qu’on n’attend pas.

 

* Anne von Canal, Ni terre ni mer (Der grund, 2014), trad. de l’all. Isabelle Liber, Slatkine et Cie, 2016

Horrorstör

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Que les étagères Billy suscitent la littérature qu’elles (sup)porteront, voilà sans aucun doute qui peut prêter à sourire. Signé Grady Hendrix, Horrorströr (trad. de l’américain Amélie Sarn, Milan et demi, 2015) est un roman qui rappelle, de par sa forme graphique, le catalogue d’une célèbre enseigne d’ameublement suédoise – et qui se lit aussi vite. La ressemblance ne s’arrête pas là : « Orsk était le plus grand magasin de meubles scandinaves des États-Unis. Ses produits aux designs contemporains étaient moins chers que ceux d’Ikea et son slogan promettait ‘une vie meilleure pour tous’ ». Quand des dégradations sont commises la nuit dans l’un des magasins de la marque, ses employés sont chargés de trouver les coupables. Comme dans un film encombré de morts-vivants, les éléments de mobilier deviennent des objets de torture : l’horreur commence. Un roman qui démontre combien les grands magasins peuvent être mortels (et pas seulement la nuit). S’il ne relève pas directement de la littérature nordique … comment ne pas le mentionner ici ? 

 

*Grady Hendrix, Horrorstör, trad. de l’américain Amélie Sarn, Milan et demi, 2015

Contes des sages scandinaves

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C’est un beau petit livre, bien illustré, que celui d’Anne Lazowski, Contes des sages scandinaves. « Amour, désir, amitié, loyauté, persévérance, honneur, bravoure animent les arrière-plans symboliques de ces paroles scandées depuis la nuit des temps durant les longs mois d’obscurité en ces territoires où les années se comptent en hiver », écrit en préambule Annae Lazowski, avant de donner à lire une grosse vingtaine de contes réécrits, semble-t-il, par ses soins. Regrettons que les auteurs des illustrations (les principaux peintres nordiques) ne soient pas nommés, seuls le sont les musées où se trouvent leurs œuvres ; regrettons également que les traductions ne soient pas attribuées ; ou que, bien que Régis Boyer soit cité ici ou là, l’auteure emploie le mot « drakkar » (qui est une invention d’un journaliste au XIXe siècle, Boyer s’insurgeait contre cet usage)… Un livre à feuilleter.

 

* Anna Lazowski, Contes des sages scandinaves, Seuil, 2017

Court Serpent

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Quelle écriture ! Car, à la lecture de ce premier roman de Bernard du Boucheron (né en 1928), c’est le qualificatif qui vient d’abord à l’esprit. Court Serpentest un roman à l’écriture riche, foisonnante, surprenante. Outre le thème, non moins déroutant. Un premier roman publié par un énarque à l’âge de... soixante-seize ans. À la fin du XIVesiècle, l’abbé Montanus est chargé de conduire une expédition pour retrouver une communauté d’hommes perdue quelque part « au Nord du monde », au « Nord absolu » (la « Nouvelle Thulé », autrement dit le Groenland) et échappant aux règles de la chrétienté. Une cathédrale et des églises ont été bâties là où une communauté chrétienne s’est installée, mais qui n’a plus donné de nouvelles depuis longtemps, au moins « trois générations », de mémoire d’homme. « Dans les temps anciens, il n’existait pour les peuples de Nouvelle Thulé d’autres autorités que celles de l’Église et du Roi. Le long abandon où les ont laissés l’une et l’autre a fait que chaque fjord s’est donné un chef, et que souvent cette fonction, d’abord d’élection, s’est transmise de père en fils. » Quand l’abbé Montanus retrouve les traces de la communauté, il constate avec effroi que la mort règne. Le froid, la faim, les maladies ont eu raison des colons. Les événements qui ont précédé leur mort montrent que la barbarie est le revers de toute civilisation : bestialité, inceste, anthropophagie, violences extrêmes... L’animalité, dans ce que le terme a de plus péjoratif, a remplacé l’humanité. La religion comme remède ? Les méthodes de l’abbé Montanus prouveraient, si besoin était, que le mieux est l’ennemi du bien.Court Serpentest un roman qui ne tait rien des violences que l’être humain peut infliger à ceux de son espèce.

 

* Bernard du Boucheron, Court Serpent, Gallimard, 2004

Les Violences

Écrivain allemand, Jakob Nolte (né en 1988) livre, avec Les Violences, un roman étrange, très terre à terre et pourtant, ancré dans une sorte d’au-delà angoissant. Quand, dans la région de Bergen, en Norvège, une mère de famille se transforme en loup-garou, tue son époux et laisse leurs enfants aux bons soins de la société... « L’histoire de cette femme devenue louve n’en fut pas moins écartée par la presse et ne dépassa même pas les frontières de la Norvège pour atteindre la Finlande, la Russie, la Suède ou le Danemark. On avait beau la raconter de temps en temps, par exemple telle nuit dans un bistrot de la ville portuaire de Porto, personne n’y croyait vraiment. » Ce roman bizarrement conçu (alternance de courts chapitres parfois sans rapport direct apparent avec le récit), Les Violences, relève de l’exercice de style autant que du récit linéaire. Et son cadre, Bergen et le sud de la Norvège, pourrait être transposé n’importe où, comme les années 1970 et cette délinquance à la limite du politique qu’exercent les divers personnages. Sa lecture n’est pas déplaisante.

 

* Jakob Nolte, Les Violences (Schreckliche Gewalten, 2017), trad. de l’allemand Alexandre Pateau, Seuil, 2019